Un Président incroyable !
dans l’hebdo N° 1137 Acheter ce numéro
Que vaut encore la parole de Nicolas Sarkozy ? Qui peut encore apporter une once de crédit à ses engagements ? Que pèsent ses explications, ses promesses, ses excuses ? Il suffit de reprendre les passages les plus marquants de sa conférence de presse de lundi pour être gagné par un terrible sentiment d’incrédulité. Voyez la taxe sur les transactions financières. Remise au goût du jour en 1997 par Attac, elle avait, à l’époque, été reçue par la droite comme par la gauche dite gestionnaire par des cris d’orfraie. Irréaliste ! Irresponsable ! Les amis de Nicolas Sarkozy n’avaient pas été les derniers à se gausser d’une aussi plaisante utopie. Il faut dire que Dominique Strauss-Kahn n’avait pas été tendre non plus pour l’association altermondialiste.
Mais voilà qu’en 2007 la crise des subprimes témoigne d’un système décidément en folie. Panique dans le personnel politique : il faut faire quelque chose. Ou, à tout le moins, il faut dire quelque chose. Dans l’élan d’une campagne ultravolontariste, notre jeune président de la République dégaine le premier. Revoilà la taxe sur les transactions financières ! Elle est l’arme majeure d’un homme résolu, dit-il, à porter le fer dans le capitalisme financier, à vaincre la spéculation et à terrasser les paradis fiscaux. Il croit si fort en l’efficacité de son discours qu’il finit par annoncer la disparition desdits paradis fiscaux. Contre toute évidence. Or, rien ne se fait. Et là où il pourrait agir, en France, Nicolas Sarkozy mène au contraire une politique qui prépare l’avènement des fonds de pension, et renforce le pouvoir de la finance. Voir la trop fameuse réforme des retraites. Et voici que promu « président du G20 », il nous refait le coup de la taxe. « En parler ou la faire ? », demandent, incrédules eux aussi, les responsables d’Attac.
La parole présidentielle, hélas, ne vaut pas mieux sur d’autres sujets. Le Président a beau affirmer que donner l’assaut aux terroristes d’Al-Qaïda qui, au Niger, venaient de prendre en otages deux jeunes Français, « c’était la seule décision à prendre » , on n’y croit pas. Il a beau dénoncer un « lâche assassinat » , nul n’ignore plus que la voiture des fuyards s’est embrasée très probablement sous les tirs d’un hélicoptère de combat de l’armée française. Et on imagine qu’il y avait sans doute mieux à faire que de sacrifier deux innocents au nom d’une « fermeté » qui ne s’exerce pas – et c’est heureux – pour nos autres otages. Là encore, on n’y croit pas. Ce Président est décidément « incroyable » ! Mais que dire surtout de sa laborieuse explication à propos de la Tunisie ? Notre diplomatie aurait « sous-estimé » le niveau de « désespérance » du peuple tunisien confronté à la dictature Ben Ali. Ce que tant d’associations et tant d’avocats dénonçaient, ce que les opposants clamaient, nos services, nos ministres, notre Président, eux, l’ignoraient. Et l’entreprise devient carrément pathétique quand il s’agit de justifier les offres de service sécuritaires de Mme Alliot-Marie à la police tunisienne. C’était pour « éviter qu’il y ait plus de drames » , a suggéré M. Sarkozy. En effet. Pouvait-on rêver meilleur geste de solidarité à l’égard du peuple tunisien que l’envoi des plus galonnés de nos gendarmes mobiles ?
Qui peut être dupe d’un tel discours ?
Il se trouve que j’étais au Maroc ces jours derniers pour une conférence sur la question palestinienne. À Rabat, on parlait évidemment beaucoup de la révolution tunisienne. On comparait volontiers la situation des trois pays du Maghreb, la nature des pouvoirs en place. On évaluait le poids de l’histoire, et les rapports de force. Mais il y a une chose au moins sur laquelle tout le monde s’accordait : le discrédit de la France officielle. Pour comprendre de quel côté elle s’est située, point besoin ici des explications emberlificotées de M. Sarkozy.
Cette crise tunisienne, qui est loin d’être finie, parlons-en. Le gouvernement transitoire, en dépit d’un vent de liberté réel, n’inspire pas confiance. Là non plus, les promesses ne sont pas crédibles quand elles sortent de la bouche d’anciens caciques du pouvoir. Trop de ministres de Ben Ali sont encore là, juge la rue, et à de trop hautes responsabilités ! L’incrédulité est la même que chez nous. Mais le rapport de force est différent. Alors que nous sommes condamnés à gober les contre-vérités les plus grossières, les Tunisiens ont, pour un temps au moins, le pouvoir de sanctionner immédiatement les menteurs et les vendeurs d’illusions. Ils vivent un de ces instants rares de l’histoire où l’on peut « arracher l’arbre jusqu’à la racine » , comme le disait joliment un jeune Tunisien à la télévision. Et la soif de liberté et de justice des Tunisiens est contagieuse. Certes, il n’y a pas d’effet domino, pas de répétition à l’identique du soulèvement dans les autres pays arabes. Mais il y a bel et bien une contagion qui inspire les peuples et renforce les oppositions. Une partie de l’Algérie est dans la rue. Au Maroc, les journalistes s’enhardissent : « Ils l’ont fait ! » , titrait l’hebdomadaire de gauche Tel Quel, dont l’éditorialiste Karim Boukhari se félicitait que les événements démentent ceux qui croient que « la rue, la foule, la masse, le peuple arabe ne sont qu’un jouet » . À entendre la conférence de presse de Nicolas Sarkozy, on aurait tout lieu de penser que les Français aussi sont pris pour des jouets. Puisqu’il faut rester poli !
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.