Une guerre peut en cacher une autre
Un récit du soulèvement du Cameroun contre la France coloniale et de la répression qui s’ensuivit.
dans l’hebdo N° 1136 Acheter ce numéro
La « Françafrique » : reparlons-en ! Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa nous en reparlent, précisément, au fil d’une enquête rigoureuse, fruit de quatre ans de travail, et qui ne doit pas être loin d’être exhaustive sur cette guerre cachée que la France a menée dans les années 1950 et 1960 au Cameroun. Leur ouvrage – une somme de 700 pages – n’est pas seulement un livre d’histoire. C’est un livre « pour l’histoire » qui bouscule notre mémoire officielle. C’est une récusation du mythe d’une décolonisation de l’Afrique française qui – par opposition au Maghreb – aurait été pacifique et exemplaire.
C’est le récit d’un soulèvement héroïque, celui de l’Union des populations du Cameroun, qui, à partir de 1948, a mené contre les autorités françaises une véritable guerre d’indépendance, sous l’étendard de ce « Kamerun » évoquant le protectorat allemand d’avant la Première Guerre mondiale, et d’avant le partage franco-britannique. Les auteurs font revivre les figures héroïques de ce soulèvement, Ruben Um Nyobé, assassiné en 1958, Félix Moumié, tué en 1960, et Ernest Ouandié, liquidé en 1971, c’est-à-dire bien après l’indépendance officielle, acquise en 1960. Car, cette guerre, les indépendantistes camerounais ne l’ont pas gagnée. Puisque la France gaullienne, rassérénée, a pu finalement installer au pouvoir ses hommes liges, Ahidjo et Biya – ce dernier, toujours là…
Une guerre peut en cacher une autre : l’écrasement du soulèvement camerounais, principalement dans deux régions, la Sanaga-Maritime et le pays Bamiléké, est quasiment gommé de l’histoire par l’Algérie.
Que de ressemblances pourtant ! On y retrouve les mêmes mots pour délégitimer la révolte – le « terrorisme », notamment –, le même personnel politique, un certain François Mitterrand, ministre de l’Intérieur de la IVe République, par exemple et, surtout, les mêmes méthodes : la torture, la terreur des populations, les coups tordus, le napalm… Le tout à l’abri des regards occidentaux. Et c’est sans doute ce qui fait la différence. L’Algérie est à quelques encablures de notre côte méditerranéenne ; il y vivait plus d’un million de colons, dans un chassé-croisé de population avec les Algériens de France qui faisaient tourner nos usines d’automobiles. L’Algérie confisquait toute l’actualité, et une grande partie de la conscience anticoloniale aussi. Or, on sait que c’est à Paris, plus que sur le terrain militaire, que la France a perdu cette guerre d’indépendance. Pendant que le Cameroun était livré sans retenue à la barbarie coloniale. Même s’il faut, au chapitre des comparaisons, rendre hommage au réseau Curiel, solidaire autant qu’il fut possible, à partir d’une rencontre entre le communiste égyptien et ce personnage étrange et fascinant, l’évêque Albert Ndongmo. Car, c’est cela aussi ce livre, la découverte de personnages méconnus auxquels il était plus que temps de rendre justice.
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