Vive les trente-cinq heures !
Au nom de la compétitivité ou du pouvoir d’achat, l’UMP – confortée récemment par Manuel Valls – veut en finir avec la réduction du temps de travail. Une lourde erreur, car celle-ci a fait ses preuves.
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Les 35 heures existeraient si peu qu’il serait nécessaire de les « déverrouiller » , selon la formule du député socialiste Manuel Valls. Celui-ci a oublié que les 35 heures n’étaient pas un gadget mais la durée légale hebdomadaire de travail. Que l’attaque vienne de la « gauche » a ravi la droite. En charge du dossier des 35 heures à l’UMP, l’ultralibéral Hervé Novelli a proposé de passer par des négociations de branche ou d’entreprise pour réduire à néant le seuil légal des 35 heures : « Il est clair qu’une fois que toutes les entreprises auraient négocié il n’y aurait plus de durée légale. La loi sur les 35 heures tomberait alors en désuétude » , a-t-il déclaré récemment après un bureau politique de l’UMP au cours duquel il avait présenté un plan de bataille contre les 35 heures. Pour Jean-François Copé, secrétaire général du parti majoritaire, « sortir du carcan dogmatique hérité de madame Aubry » permettrait de « renforcer la compétitivité des entreprises » et de « soutenir le pouvoir d’achat des Français » . Une affirmationfausse, déconnectée des réalités économiques.
1-Les 35 heures ont limité le chômage
Qu’en serait-il aujourd’hui du chômage si le temps de travail était resté à plus de 70 heures par semaine comme au début du XXe siècle ? Il atteindrait des sommets vertigineux ! Ce qui a été évité grâce à une diminution continuelle du temps de travail depuis un siècle. Contrairement aux discours ambiants, respecter la durée légale du travail – fixée depuis le 1er février 2000 à 35 heures pour tout le monde – est un choix de société qui a des effets positifs sur l’emploi, la réduction des déficits publics et la croissance. Les pays européens qui ont le plus réduit leur temps de travail sont ceux qui ont le taux de chômage le plus faible, si l’on en croit les données d’Eurostat, l’organisme statistique de la Commission européenne. En fait, les 35 heures n’ont en rien détruit la compétitivité et la croissance : elles ont permis de créer entre 300 000 et 400 000 emplois entre 1997 et 2002, selon de nombreuses études. Dans la même période, la croissance française a été très supérieure à la croissance européenne, et le pays a réduit fortement ses déficits publics. En tout, 2 millions d’emplois ont été créés. Un record incontesté, malgré un chômage endémique et un krach boursier (la bulle Internet) en 2000.
2-Les Français travaillent plus que les Allemands
La durée hebdomadaire moyenne effective du travail s’élève à 38 heures en France, 36,6 heures en Grande-Bretagne, 36,3 heures en Suède et 35,7 heures en Allemagne. Tels sont les faits établis par l’OCDE en 2009. Bref, les « actifs » français travaillent davantage que leurs voisins européens, à l’exception des Finlandais, selon Eurostat. « Même si l’on prend en compte les congés annuels, censés être beaucoup plus élevés chez nous qu’ailleurs, le Français travaille toujours plus que l’Allemand : 1 550 heures en moyenne en 2009 contre 1 390 de l’autre côté du Rhin. Les 35 heures des années 2000-2002 n’ont fait en leur temps que rapprocher la France de l’Allemagne » , assure l’économiste et député socialiste Pierre-Alain Muet [^2], qui s’appuie sur les données de l’OCDE. Bref, « la durée hebdomadaire moyenne du travail a toujours été plus élevée en France qu’en Allemagne et dans les pays européens développés » . Quand Nicolas Sarkozy affirme que « les pays qui ont le plus réduit le chômage sont ceux qui ont augmenté le temps de travail » , il se trompe. Délibérément ?
3-Les 35 heures ne nuisent pas à la compétitivité
Les 35 heures seraient responsables d’un coût du travail bien supérieur aux autres pays européens, en particulier l’Allemagne, selon l’UMP et les économistes néolibéraux. Cela nuirait à la compétitivité. Là encore, la réalité vient les démentir. Selon une étude réalisée en 2010 par la banque HSBC et publiée dans le Monde (du 24 mars 2010), « le coût du travail en France reste inférieur à celui du travail en Allemagne » . Si les cotisations patronales versées en France pour une heure de travail sont supérieures aux cotisations allemandes, les salaires sont plus faibles chez nous. « Au total, le coût d’une heure de travail est donc plus bas en France qu’en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et bien entendu au Danemark, en Suède ou au Luxembourg » , explique l’étude. On peut difficilement suspecter la banque d’être infiltrée par la CGT et les « socialo-communistes » ! Le coût horaire de main-d’œuvre progresse en France plus vite qu’en Allemagne, mais les données disponibles montrent aussi qu’une dizaine de pays de la zone euro connaissent une évolution similaire, voire plus forte. Cette tendance n’a donc rien à voir avec les 35 heures. En fait, leur « surcoût » a été compensé par des gains de productivité. Elles ne sont donc pas un obstacle à la compétitivité. En revanche, le coût du capital a, lui, nettement augmenté : les dividendes versés aux actionnaires ont grimpé de 218 % de 1993 à 2005 ! Et ont atteint 40 milliards d’euros en 2010, selon les Échos. Mais rares sont ceux qui accusent les actionnaires de nuire à la compétitivité des entreprises…
4-Les 35 heures permettent de gagner plus, mais en heures sup’
Rappelons que l’on peut travailler plus que la durée légale hebdomadaire de travail, jusqu’à 48 heures maximum. Mais si l’on dépasse 35 heures, on est théoriquement payé en heures supplémentaires (sauf système de dérogation), donc davantage, comme le prévoit le code du travail. Supprimer la durée légale du travail, cela revient à supprimer la majoration pour heures supplémentaires, contraintes ou choisies.
5-Ce sont les économies budgétaires qui désorganisent les services publics
On cite régulièrement le cas de l’hôpital pour stigmatiser les 35 heures. « Tout le monde sait parfaitement que l’application brutale des 35 heures, dans la Fonction publique hospitalière en particulier, a déstructuré les choses » , a récemment déclaré Georges Tron, secrétaire d’État à la Fonction publique. Mais les syndicats du secteur rappellent que la désorganisation de l’hôpital vient de l’absence de financement des emplois nécessaires à la mise en place des 35 heures. « Il aurait fallu 80 000 créations de postes pour compenser la diminution du temps de travail, à peine la moitié ont été créés sur trois ans, non financés et immédiatement supprimés dans les divers plans d’économies » , souligne Marie-Christine Fararik, syndicaliste de SUD à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Résultat, les agents hospitaliers sont loin des 35 heures de travail hebdomadaire : « Ils travaillent 38 h 20 et placent leurs RTT dans des comptes épargne temps. » Ceux-ci représenteraient près de 5 000 postes, selon la syndicaliste. « Pour les médecins, c’est la même chose, ils sont payés en plages additionnelles et mettent une partie des RTT sur des comptes épargne temps. » Loin de rejeter les 35 heures, les syndicats se mobilisent plutôt pour l’arrêt des suppressions d’emplois et contre l’intensification du travail. Ce ne sont pas les 35 heures qui ont désorganisé l’hôpital public, mais les politiques d’économie, qui le mettent à mal.
[^2]: Lire 35 heures : le temps de travail en… Allemagne, publié par Mediapart.