Algérie : rendez-vous avec l’Histoire
Les manifestations prévues ce samedi 12 février dans plusieurs villes du pays vont constituer un test décisif, autant pour les oppositions démocratiques que pour le pouvoir. Reportage à Alger.
dans l’hebdo N° 1139 Acheter ce numéro
Le vent de la révolution souffle aussi en Algérie. Une Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) s’est mise en place fin janvier. Elle réunit partis, syndicats et associations, et appelle à manifester ce samedi 12 février dans tout le pays.
Devant les situations tunisienne et égyptienne, et face à la détermination des Algériens, le président Bouteflika, dans une vaine tentative de calmer les esprits, a anticipé les revendications de l’opposition et s’est dit prêt à les satisfaire après douze ans de politique de surdité et de mépris. Le 3 février, il est sorti de son mutisme pour annoncer la prochaine levée de l’état d’urgence en vigueur depuis… 1992, et l’ouverture du champ médiatique aux partis de l’opposition. Mot d’ordre qui sera au cœur de la marche du 12 février. Devant cet aveu de faiblesse et de peur, le CNCD et toutes les forces actives du pays ne sont pas dupes. Elles montent au créneau et, bravant l’interdiction de manifester dans la capitale, elles ont confirmé la marche d’Alger de samedi, qui risque d’être déterminante pour l’avenir du pays.
Comment le pouvoir algérien va-t-il réagir à cette marche ? Prendra-t-il le risque de réprimer les manifestants et de se retrouver confronté à la situation de Tunis et du Caire, ou va-t-il poursuivre sa tentative d’apaisement en essayant de convaincre le peuple, dont il n’a plus la confiance, qu’il est capable de relever le défi démocratique et de la liberté d’expression ?
Madani G., 27 ans, chômeur, originaire de Wargla (sud du pays), avoue avoir fait deux tentatives de suicide. « Nous voulons travailler avec les sociétés d’exploitation du pétrole , dit-il, il y a du travail dans le Sud, mais il faut du piston. Nous en avons assez du vol et de la corruption. Nous ne nous suiciderons plus, car nous avons compris leur jeu. C’est à eux de se suicider ! » Madani affirme : « Nous sommes organisés dans tout le territoire sous l’égide du Snapap, le syndicat indépendant, et maintenant nous allons nous battre pour nos droits. » Pour Fodil Boumala, universitaire, écrivain et journaliste, « ce pouvoir est non seulement incapable de gouverner, mais il est devenu un danger pour la sécurité nationale. Il nous faut une rupture psychologique totale avec le système actuel, rompre avec le statut quo imposé et dynamiser la société. Il ne s’agit plus seulement de lever l’état d’urgence, mais l’urgence aujourd’hui est de fonder un État de droit » .
« La levée de l’état d’urgence n’est pas encore confirmée , rappelle, incrédule, Tarik, 30 ans, cadre et militant associatif. Quant à l’ouverture du champ médiatique, il n’y a rien. Elle impliquerait que le monopole de l’État sur l’audiovisuel ne soit plus. Pour l’instant, le Président aurait juste demandé à l’ENTV [chaîne unique de télévision, NDLR] de s’intéresser aux activités de l’ensemble des partis politique, en incluant ceux de l’opposition. » « C’est de la poudre aux yeux ! , ajoute-t-il. Le pouvoir opte pour des solutions d’urgence afin de faire taire la contestation actuelle, mais après douze ans de règne, il est tard pour se bouger, l’histoire est en marche. »
« Nous rêvons de choses simples. Nous voulons une Algérie dans laquelle chacun aurait accès à un travail, à un logement, à la culture, aux loisirs, où la religion retrouverait sa dimension spirituelle, et où chacun aurait le droit de croire, de ne pas croire, de boire ou de ne pas boire, du moment que l’un ne dérange pas l’autre. » Lila Iril, présidente de l’Association nationale des familles de disparus algériens, reprend les mots de Tunis et du Caire : « Il faut que ce pouvoir dégage, je veux que les gens qui ont été responsables de nos souffrances soient jugés. Le changement doit se faire dans un processus où l’on se donne les moyens de devenir une véritable démocratie. » Samedi, une Algérie nouvelle a peut-être rendez-vous avec l’Histoire.