Dakar, capitale de la contestation
Le Forum social mondial a débuté le 6 février dans la capitale sénégalaise et s’achève vendredi. Près de 40 000 participants ont dénoncé la domination capitaliste et appelé à la solidarité entre les peuples.
dans l’hebdo N° 1139 Acheter ce numéro
«Le capitalisme est à l’agonie ! » , clame Evo Morales. Sous le vigoureux soleil de l’hiver sénégalais, le chef d’État bolivien harangue les milliers de marcheurs venus ouvrir le 11e Forum social mondial. « Ce sont nous, les pauvres des villes et des campagnes, qui payons la crise du capitalisme » , poursuit l’ancien syndicaliste paysan. Il évoque les réalisations de son gouvernement, issu des mouvements sociaux : l’accès à l’eau inscrit comme « droit fondamental » dans la Constitution, la réappropriation des ressources naturelles, « qui ne peuvent être gérées par les transnationales » , et la « considérable augmentation des investissements publics » pour assurer les services de base.
Un discours qui trouve un écho certain auprès des participants sénégalais. En dix ans de présidence, Abdoulaye Wade n’a pas su résoudre les défaillances qui pourrissent la vie quotidienne de ses concitoyens. Problème le plus emblématique : les « délestages » sont devenus la bête noire des habitants de la capitale. La société nationale d’électricité (Senelec), brièvement privatisée puis renationalisée, se révèle incapable d’alimenter l’agglomération en énergie. Ces coupures de courant frappent des quartiers entiers, les plongeant dans l’obscurité la nuit, empêchant nombre de commerçants et de petites entreprises de travailler la journée, détraquant communications et appareils ménagers… Il y a bien sporadiquement des « émeutes de l’électricité ». Rien n’y fait. Les centrales thermiques continuent de brûler en vain du coûteux diesel d’importation, dans un pays pourtant inondé de soleil où le développement du photovoltaïque se fait désespérément attendre.
Les déficiences en infrastructures sont telles que, 48 heures avant l’ouverture du forum, certains organisateurs n’excluaient pas une annulation. Mais, en une journée, tentes et signalisations ont poussé sur le campus de l’université Cheikh-Anta-Diop. Câbles électriques, matériel de traduction et stands d’inscription sont miraculeusement apparus. Des centaines de volontaires orientant les délégations étrangères, se sont mystérieusement multipliés. Seul écueil : les cursus universitaires ayant débuté en retard, les étudiants venus de toute l’Afrique de l’Ouest sont parfois réticents à libérer leurs salles de cours pour un séminaire sur la « non-violence active », « l’impact des accords de libre-échange » ou « la bonne gouvernance ».
« Vous devez savoir que nous aussi, en Amérique latine, nous avons été conquis et dominés par des forces venues d’Europe » , continue Evo Morales. Symbole de cette « domination », le déploiement de forces de l’ordre solidement harnachées, le long du parcours de la marche d’ouverture, le 6 février, devant chaque enseigne occidentale, de l’omniprésente marque Orange aux supermarchés Casino, sans oublier les inévitables stations Total et Shell. À ces quasi-monopoles, répond la diversité des nationalités et des mouvements chez les 40 000 participants à la marche. Côté Sénégal, des travailleuses du textile escroquées par les maroquiniers, des producteurs d’arachide opposés aux OGM, des vendeurs de rue, des cortèges d’enfants revendiquant l’accès à l’éducation, des anciens des collectifs de sans-papiers…
Côté international, des catholiques nigérians pour la paix, des mouvements de femmes béninoises ou nigériennes, des « sans-voix » du Burkina, des démocrates guinéens, des travailleurs brésiliens, des militants italiens, des syndicalistes français du secteur des télécoms venus rencontrer leurs homologues sénégalais… « Vive le peuple créateur et souverain » , proclame une banderole de paysans maliens. « Nous sommes tous interdépendants, il faut que nous soyons solidaires » , conclut, sur l’estrade, le secrétaire général de la présidence brésilienne, Gilberto Carvalho, dont la venue à Dakar précède celle de l’ancien président ouvrier Lula. Avec leurs réussites, leurs contradictions et leurs limites, le Brésil comme la Bolivie incarnent le défi qui se pose au mouvement altermondialiste : passer de la résistance à la prise du pouvoir. Quelles leçons en tireront les politiques français [^2] de passage au forum ?
[^2]: Martine Aubry, Ségolène Royal et Benoît Hamon pour le PS, Eva Joly et Karima Delli pour Les Verts-Europe Écologie, Pierre Laurent pour le PCF, Martine Billard pour le Parti de gauche, et Olivier Besancenot pour le NPA.