Dans un champ de trouilles

La Monnaie de Paris expose une série photographique
sur le thème de la peur. Un fourre-tout suspect.

Jean-Claude Renard  • 17 février 2011 abonné·es

Àun pluriel près, le titre de cette exposition rappelle un film d’Henri Verneuil réalisé en 1975, porté par un Belmondo voltigeant voltigeur au-dessus de Paris, en butte à un mystérieux justicier sexuel, singularisé par un œil de verre, signant ses crimes Minos. De l’action, toujours de l’action. Et du frisson.

Du frisson, c’est précisément l’objet de cette exposition à la Monnaie de Paris, « Peurs sur la ville », qui entend « proposer une réflexion sur la violence urbaine à Paris à travers des photographies historiques, réelles et imaginaires » , « volontairement construite autour d’images chocs » en noir et blanc et en couleur. En trois volets.

Le premier rassemble des photos de  Paris Match , en « témoin de l’Histoire » . Le 10 août 1944, Sylvia Monfort, brassard FFI à l’épaule, échangeant « des nouvelles avec le conducteur d’une voiture à la croix de Lorraine »  ; une Parisienne claquant une bise à un soldat, toujours en août 1944 ; des anciens combattants, le 13 mai 1958, qui « défendent l’Algérie française » , affrontant les CRS ; des manifestants anti-OAS, le 8 février 1962 ; une manifestation d’étudiants dans le quartier Latin « tournant à l’émeute » en mai 68 ; l’attentat de la rue des Rosiers, le 9 août 1982 ; le corps de Georges Besse, patron de la régie Renault, abattu par Action directe en novembre 1986, les émeutes de 2005…

Deuxième volet, sous forme de ­photo­­montage, titré « Guerre ici », du reporter de guerre Patrick Chauvel et de Paul Biota, le second superposant, greffant des images réelles de combat saisies par le premier (Beyrouth en 1982, Grozny en 1996, l’Afghanistan en 2010) sur des lieux emblématiques parisiens. Soit la Samaritaine, le pont ­Alexandre-III, le Trocadéro ou Notre-Dame en théâtres de violences, martyrisés par les chars, les déploiements militaires, les obus. La tour de Nabatiyeh, au Liban, bombardée en juillet 1993, trouve ainsi sa place en tour Montparnasse (photo ci-dessus).

Troisième volet, puisant dans la série Paris Street View , de Michael Wolf : une dizaine d’images grand format, surpixellisées, réalisées à partir de captures d’écran, mêlant un doigt d’honneur prononcé par un motocycliste, des ombres et silhouettes éphémères, un baiser sous un porche, le toutim distillant « une violence psychologique de tous les instants ». Sans légende.

« Peurs sur la ville » « invite le spectateur à voir et à regarder pour comprendre et pour rester vigilant à cultiver la paix » . Elle livre surtout un fourre-tout. Quelle cohérence entre la Libération de Paris et le meurtre de Georges Besse, entre le massacre de Charonne et une manif d’étudiants contre le CPE ? Quel lien, sinon Paris ? Pourquoi pas, tant qu’à faire, la Commune et le 6 février 1934 ? Quelle angoisse, quel sentiment inspirent un baiser surpixellisé, un doigt d’honneur, une silhouette à peine identifiée sinon la trouille feutrée éprouvée devant un Minos à l’œil de verre ? Il n’y a guère là que le parti pris du ­photo­montage qui inviterait à réfléchir, en déplaçant la guerre sur le terrain de la paix. « Michael Wolf et Patrick Chauvel nous alertent, écrit Max Gallo en avant-propos dans ­l’anti­chambre de l’exposition. Le volcan de la violence parisienne est encore fécond. […] Paris est un champ de bataille. » Nous voilà revenus à Roger Gicquel : la France a peur.

Culture
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