FN : la gauche doit réagir !

Face à un Front national
qui surfe sur le social,
la République et la laïcité,
la gauche doit redoubler
de vigilance et assumer
son opposition à la droite.

Clémentine Autain  • 10 février 2011 abonnés
FN : la gauche doit réagir !
© Clémentine Autain est féministe, directrice du mensuel Regards et membre de la Fédération pour une alternative sociale et écologique. Photo : Medina / AFP

Y a le feu au lac. Le relookage du Front national et les liaisons dangereuses partout en Europe entre la droite et l’extrême droite menacent l’égalité et la liberté. Le débat s’en trouve affecté par la polarisation autour de certains thèmes – sécuritaire, islam, identité nationale. Cette hégémonie culturelle, au sens gramscien du terme, produit des effets concrets. Au programme : néolibéralisme, xénophobie, contrôle social. Une logique que la droite au pouvoir poursuit à sa façon, préparant ainsi le terrain des idées et des alliances. Il faut lui opposer une tout autre vision du monde. Car la diabolisation par l’évidence ne fait pas le compte. Et ce d’autant que Marine, ce n’est pas un Jean-Marie Le Pen en jupon. Les outrances, négationnistes ou racistes, ne sont plus celles d’hier. La quête du pouvoir est assumée. Et la confrontation est rendue difficile par la dimension retorse des discours surfant sur les idées de l’adversaire. Accents altermondialistes, envolées lyriques sur le social ou la laïcité, citation de Jean Jaurès : selon une tactique éprouvée par Nicolas Sarkozy, le nouveau FN entretient les ambiguïtés pour masquer le fond idéologique d’extrême droite.

En face, il faut rappeler avec force le contenu concret du programme du FN : chasse aux sans-papiers et préférence nationale, réduction des dépenses publiques (ce parti propose d’inscrire dans le préambule de la Constitution leur plafonnement à 35 % du PIB !), développement des régimes de retraite par capitalisation ou de l’accession à la propriété au détriment du logement social. Non seulement le FN opte pour le rejet de l’autre, mais il prend le parti du capital et de la propriété privée. À gauche, il faut donc dire clairement où l’on se situe : du côté de l’affrontement avec le capitalisme ou de l’accompagnement du marché, car « l’État ne peut pas tout » et l’austérité des budgets publics s’impose ; du côté du « problème » de l’immigration ou de l’urgence à donner des droits aux sans-papiers, de la République menacée par l’islam ou gangrenée par la montée des inégalités et le recul des libertés ; du côté de ceux qui pensent que l’on a été « naïf » sur la sécurité ou de ceux qui estiment que l’enjeu est surtout d’apporter une réponse sociale aux personnes démunies, aux jeunes en difficulté, aux quartiers populaires qui paient le prix fort de toutes les crises que nous traversons. Plus nous serons hésitants, plus les droites dures pourront prospérer. La clarté suppose de ne pas valider les présupposés de la droite dure sur un certain nombre d’enjeux. Je prendrai ici deux exemples.

Le nouveau FN et ses alliés ont transformé la figure de l’ennemi : l’immigré est un musulman. Conformément à la théorie du « choc des civilisations », l’islam et les musulmans menaceraient l’identité française. Les soulèvements dans le monde arabe au nom de la démocratie et des libertés sont un joli pied de nez ! Mais il faudrait aussi qu’à gauche, davantage de voix s’élèvent contre la stigmatisation grandissante et consensuelle d’une catégorie de la population (française) et d’une religion (l’islam), quand le christianisme ou le judaïsme font partie du paysage (laïc et républicain). L’inquiétude légitime d’un recul des droits des femmes est devenue le terreau de cette stigmatisation. Sur la question du foulard ou de la burqa, tous les bien-pensants trouvent là un zèle incroyable pour défendre les droits des femmes, zèle que l’on aimerait aussi aiguisé quand il s’agit du quotidien des Françaises fait de viols, d’inégale répartition des tâches domestiques, de sous-salaires et de surchômage. Que le port d’un voile soit un signe d’oppression, j’en suis convaincue. Mais il est loin d’être le seul dans l’espace public. Lié à l’islam, il est hypervisible quand on ne voit rien des signes de la domination masculine qui font notre quotidien à tous. Est-il sérieux de laisser entendre que l’enjeu de l’émancipation des femmes se joue aujourd’hui en France sur cette question ? À gauche, nous devons nous élever contre l’indignation sélective. Car ce climat contribue à alimenter la machine à désigner les musulmans comme la menace intérieure, et donc à valider les soubassements idéologiques du FN.

Deuxième exemple : la vision et la relation au peuple. Là encore, soyons vigilants. La pensée dominante attribue une base sociale au FN. Comme si les élites étaient protégées de la xénophobie et que le peuple, inculte et largué, était une proie facile. La sociologue Annie Collovald a montré combien cet électorat est hétérogène. En 2002, 23 % des ouvriers ont voté Le Pen mais aussi 26 % des professions libérales et des cadres supérieurs. En fait, les catégories populaires se réfugient d’abord dans l’abstention. Le terme de populisme est aujourd’hui le cache-sexe d’un mépris pour le peuple. À l’inverse, la défiance du peuple à l’égard des élites et la démobilisation politique des catégories populaires, qui n’est pas synonyme de désintérêt pour la politique, doivent être prises au sérieux. Ne contournons pas la crise profonde de légitimité des pouvoirs en place. Il n’y aura pas de victoire contre la droite, ni de transformation sociale sans mobilisation populaire. Au lieu de chercher quelques formules médiatiques miracles ou l’homme providentiel d’une élection, nous devons assumer la conflictualité politique avec la droite, en redonnant des couleurs, du souffle et de la force à gauche. Ce qui suppose de travailler à l’unité du peuple, celui d’aujourd’hui, marqué par l’essor de la précarité, autour d’une espérance.

Un scénario à l’italienne n’est pas à exclure en France, même si les histoires sociales et politiques sont différentes. Oui, le pire est possible : un gouvernement unissant les droites dures, cassant les biens publics, les protections sociales et les libertés, face à une gauche rassemblée au centre, démonétisée par une expérience gouvernementale qui n’a pas changé les conditions de vie du plus grand nombre et affaiblie par son aile gauche au tapis. Mais le pire n’est pas sûr… Il doit être conjuré.

Idées
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