La Jordanie en première ligne
Malgré la légitimité reconnue du roi Abdallah II, et la formation d’un nouveau gouvernement, la contestation continue à Amman.
dans l’hebdo N° 1139 Acheter ce numéro
Tant d’expressions ont été employées pour décrire la crise qui secoue tout le monde arabe. Effet domino ? Sûrement pas ! Il n’y a évidemment aucun lien mécanique entre la révolution tunisienne, l’Égypte et les mouvements observés en Algérie et dans une partie du Moyen-Orient. Il est beaucoup plus juste de parler d’onde de choc. Encouragés par l’issue favorable de la révolution du jasmin, les peuples du monde arabe tentent, eux aussi, de se libérer de pouvoirs autoritaires en apparence inamovibles. Les revendications se ressemblent : des élections démocratiques, davantage de libertés individuelles, dénonciation d’un coût de la vie trop élevé et d’un régime corrompu et clientéliste.
La Jordanie pourrait bien être le prochain régime à être sérieusement ébranlé. Depuis mi-janvier, les manifestations se multiplient et, dimanche, 36 personnalités appartenant aux grandes tribus bédouines ont estimé dans un communiqué que le pays sera « tôt ou tard la cible d’un soulèvement semblable à celui de la Tunisie et de l’Égypte » . Les tribus bédouines constituent traditionnellement le socle du pouvoir monarchiste.
Quant au Front de l’action islamique (FAI), principal parti d’opposition jordanien, il ne réclame pas le renversement du roi Abdallah II, mais de profondes réformes politiques. Les dirigeants de cette branche politique des Frères musulmans ont rencontré dimanche le nouveau Premier ministre désigné, Maarouf Bakhit, puis le roi. Ils ont toutefois refusé d’entrer dans le nouveau gouvernement. « Nous avons reçu une offre d’entrer au gouvernement de M. Bakhit, que nous avons refusée », a déclaré leur leader, le cheikh Hamzeh Mansour, qui a souligné que le FAI ne participerait à un gouvernement que dans le cadre d’un « consensus national après des élections législatives sur la base d’une loi équitable » .
Le roi Abdallah II a limogé le 2 février le Premier ministre, Samir Rifaï, pour calmer la rue, qui réclamait son départ, et désigné Maarouf Bakhit en le chargeant d’un vaste programme de réformes politiques et économiques.
Les islamistes réclament en premier lieu une modification de la loi électorale au système uninominal, qu’ils considèrent à leur désavantage et qui les a poussés à boycotter les dernières élections législatives en novembre. La Jordanie est en proie à un mouvement de contestation sociale et politique qui s’est traduit par plusieurs manifestations, rappelant celles qui ont provoqué la chute de Ben Ali en Tunisie.
Le Yémen, deuxième régime sur la sellette, fait également face à de nombreuses manifestations réclamant le départ du Président, Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis trente-deux ans. La présidence a annoncé une augmentation générale des salaires, et Ali Abdallah Saleh a promis de ne pas se représenter en 2013. Mais les Yéménites, sceptiques, continuent à se rassembler, en nombre, sur la place… Tahrir à Sanaa. En Syrie, les ébauches de manifestation ont été brisées par le régime de Bachar Al-Assad. Un septuagénaire a été arrêté pour avoir lancé un appel à la mobilisation pour réclamer plus de droits.
En Palestine, à Ramallah, plusieurs centaines de personnes se sont réunies en signe de solidarité avec le peuple égyptien, mais l’Autorité palestinienne a interdit les manifestations de soutien en prétextant « la non-ingérence dans les pays frères » . Rarement la convergence entre les dirigeants israéliens et ceux de l’Autorité palestinienne aura été aussi spectaculaire. La propagande israélienne qui instrumentalise la peur d’un régime islamiste sur un modèle iranien au Caire semble avoir contaminé les dirigeants palestiniens, qui semblent dire « plutôt Moubarak et Nétanyahou que le Hamas ! » Ce qui n’est plus guère surprenant quand on se souvient que, selon des révélations de WikiLeaks, au mois de décembre, un haut dirigeant palestinien avait souhaité auprès d’Israël un renforcement du blocus de Gaza…