Pourquoi l’Algérie hésite…

Un pouvoir plus à l’écoute et le souvenir d’une décennie de massacres rendent la perspective d’une révolution algérienne plus hypothétique. Reportage.

Meriem Laribi  • 24 février 2011 abonnés
Pourquoi l’Algérie hésite…
© Photo : batiche / afp

En Algérie, il faut admettre que nous sommes loin de ce qui se passe à Bahreïn et en Libye. Ici, pas de répression violente, pas de morts, le gouvernement semble tenter de se dépêtrer de la crise actuelle pour en sortir renforcé. Il est prêt à tout donner pour calmer les foyers de tension. C’est le moment de revendiquer. Les étudiants, un peu partout en grève, ont obtenu l’annulation d’un décret dévalorisant leurs diplômes en quelques jours de mobilisation. Des contractuels de la Fonction publique ont été titularisés après un simple rassemblement. Bref, que celui qui a quelque chose à dire le dise maintenant.

On tremble dans les hautes sphères de commandement, et il semble que le conflit entre le clan présidentiel et la grande muette soit à son paroxysme. En fait, l’armée, qui dirigeait le pays par procuration, est en train de reprendre le contrôle direct du pouvoir. La gestion de la manifestation du 19 février relevait ainsi d’une stratégie politique précise.

Bien plus radicales que la semaine d’avant, sans violence (ou presque !), les Unités républicaines de sécurité (URS), dépendant administrativement de la police sous la tutelle politique du pouvoir militaire, ont réussi à empêcher les 2 000 à 3 000 personnes venues sur la place du 1er-Mai de se rassembler. Comme la semaine précédente, les boutiques ont eu instruction de ne pas fermer, et la circulation est restée ouverte. On pouvait ainsi voir des voitures se frayer un chemin au milieu des manifestants et des URS. Étrange ambiance. Des manifestants pro-Bouteflika munis d’affiches à l’effigie du Président sont venus se faire entendre. Tous les éléments étaient réunis pour minimiser la contestation de ceux qui veulent le départ du régime. Et même à ceux-là on tend la main.

Au milieu de la semaine, les radios officielles, qui n’avaient jamais pipé mot sur une quelconque opposition, se sont mises à parler des actions de la Coordination nationale pour le changement (CNCD) comme si l’Algérie était soudainement devenue une démocratie. L’une des principales revendications de la CNCD, l’ouverture du champ médiatique, semblait avoir été entendue, même si l’État conserve son monopole.

Autre revendication entendue, et pas des moindres, la levée de l’état d’urgence, en vigueur depuis dix-neuf ans. Elle « interviendra avant la fin du mois en cours , a assuré le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, le 16 février, parallèlement à l’annonce de plusieurs décisions concernant le logement, l’emploi et la gestion de l’administration » . Le pouvoir algérien, qui n’a jamais été à l’écoute de son peuple, est aujourd’hui tout ouïe, et cela fait presque sourire tant il est évident que l’essentiel pour lui est de se sauver lui-même. Devant la Tunisie, l’Égypte et le reste du monde musulman qui s’embrase, le pouvoir algérien joue la conciliation.

Un autre paramètre est à prendre en compte pour comprendre qu’il n’y aura pas d’effet domino immédiat en Algérie : l’absence d’une opposition populaire porteuse d’un projet de société et apte à remplacer le régime actuel. La CNCD, organisatrice du mouvement de contestation, réunit différents partis, syndicats et associations, certes, mais ces structures sont des coquilles presque vides. Ou, du moins, elles commencent à peine à se remplir avec la récente mobilisation.

Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), qui a quelque peu accaparé le monopole de l’opposition au régime, n’a pas une grande aura dans la société. Son président, Saïd Sadi, est soupçonné de connivence avec les Américains. Pour le reste des membres de la Coordination, hormis une volonté de changement vers une démocratie plurielle, le projet de société est inexistant. L’humour noir et l’autodérision qu’affectionnent particulièrement les Algériens en dit long à cet égard : à la question « et après la chute du régime, on fait quoi ? » , des contestataires répondent : « Obtenons la démocratie et après on pourra s’entre-tuer. » Les Algériens n’ont pas oublié une décennie de cauchemar baignée de sang. Et ils ne veulent plus de sacrifice inutile.

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