Toutes en une, toutes en elle

Marie-Claude Pietragalla revient sur la scène parisienne pour un solo époustouflant, la Tentation d’Ève, sur l’histoire des femmes.

Jean-Claude Renard  • 24 février 2011 abonné·es

Elle pousse péniblement une gigantesque pomme rouge sur la scène, le corps arc-bouté, tendu puis délié, désincarcéré, avant de croquer dans le fruit, d’entamer une sarabande autour de lui, de séduction en fascination, de répulsion en insoumission. Retorse, la dame. Palpable presque, désirable sous le collant, le port souple et tendre à la fois, élastique, nerveuse.

Au commencement était la femme. Mutine, cambrée. Sculpturale. En route pour l’infini. Marie-Claude Pietragalla ne tergiverse pas, ni ne lésine, ni ne chicane. Et ouvre sa Tentation d’Ève par un symbole, pierre inaugurale de la première des femmes, qui longtemps va payer le péché originel, résumant à elle seule la condition féminine et son âpreté, étirée sur des millénaires.

Héritage délicat, douloureux, de génération en génération. Une femme tantôt sorcière et marâtre, tantôt muse, sainte, mi-pute mi-soumise, tyrannique, bonne fée inspiratrice, envahissante ou inaccessible, pathétique et sublime, dans la quête toujours, Folcoche atrabilaire, chef d’entreprise hystérique.
Pietragalla retrace et traverse ici la mémoire des femmes. Toutes en une. Toutes en elle. Il s’agit de faire converger les caractères. Galante, pudique, entre le désir, le paraître et la volonté d’exister, la générosité et l’abnégation.

Au gré des siècles. Pietragalla fait halte et change d’images, de masques, au fil des époques, empruntant du côté de Molière, de Marceline Desbordes-Valmore, de guerrière chevaleresque en travestie, de femme de ménage engluée dans le carcan social en soubrette artiste et demi-mondaine, de femme libérée dans les sixties , maniaque dans le triomphe de l’électroménager, en working girl automatisée. Voilà Pietragalla dans la fleur des nerfs. Chargée de rameaux allègres. Qui danse ses rêves et ses hantises, qui s’ébroue, hésite, chute, se relève, tire ostensiblement sur une cigarette, fragile et libre, emplit la scène de petits pas, d’élans, de jaillissements, en éternel féminin. À l’occasion, une marionnette vient lui donner la réplique, qu’elle active, réanime, comme un double complice au sein de cette fresque époustouflante, déployée en une poignée de tableaux.

À chaque personnage son costume, sa gestuelle, son univers musical, de Bach à Barbara ( Ma plus belle histoire d’amour ), de Lully à Daft Punk jusqu’à la musique électro. De musique classique en house music. Une manière d’exprimer la femme et sa réinvention.

Dix ans après un solo à l’Olympia (créé pour l’occasion par Carolyn Carlson), Marie-Claude Pietragalla revient sur scène, en soliste, sur le parquet d’une salle parisienne trempée d’histoire, le Palace, pour une féerie poétique, un spectacle hybride, envoûtant, une chorégraphie mise en scène par elle-même et son compagnon, Julien Derouault. Près de quatre-vingt-dix minutes de corps en transe d’émotion, de rafraîchissements de mémoire, de générosité physique, d’humour aussi. Dans l’humaine tragicomédie de la chair, universelle, du drame au burlesque, le toutim rebondissant dans l’imaginaire collectif, ramassé dans un théâtre du corps.

Culture
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