Un aéroport pour sauver la planète
L’entreprise Vinci et les élus de la région nantaise se démènent pour vendre leur projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Avec un accent particulier sur des artifices écologiques qui ne trompent personne.
dans l’hebdo N° 1141 Acheter ce numéro
Paysages de bocage, musique zen à peine troublée par l’atterrissage d’un 747, bosquets préservés et toits végétalisés dissimulant parkings et terminaux aéroportuaires. Bienvenue dans « le seul aéroport français labellisé haute qualité environnementale », selon des élus socialistes enthousiastes [^2]. La présentation du futur aéroport du Grand-Ouest, visible sur Internet, est plus que soignée. On aurait presque envie d’étaler nappes et collations pour un pique-nique ensoleillé au bord des pistes, et regarder décoller les géants ailés tout en écoutant chanter les cigales et butiner les abeilles.
Bruits assourdissants, émanations de kérosène, concentrations de gaz en tout genre… Tout cela n’existera pas à Notre-Dame-des-Landes, ce petit bout de campagne, à 30 kilomètres de Nantes, qui devrait voir arriver bétonneuses et grues à partir de 2014. « Le nouvel aéroport de la région nantaise, conçu par Vinci et ses partenaires, a pour ambition l’excellence environnementale avec un bilan énergie positif » , communique la multinationale du BTP. Vinci a obtenu, fin décembre, la concession de l’aéroport pour sa construction et son exploitation pour les cinquante-cinq ans à venir. Coût du projet : 556 millions d’euros. Les premiers longs courriers décolleront en 2017. Le nouvel aéroport devrait progressivement accueillir les 3 millions de passagers qui fréquentent actuellement celui de Nantes-Atlantique.
Mais Vinci ne s’arrête pas là. Tout est permis pour convaincre que son aéroport est écolo, et accessoirement pour couper l’herbe sous les pieds des opposants au projet, ceux qui, pour l’instant, occupent le terrain (lire notre article en Résistances). Dans son contrat de concession, Vinci prévoit la création au sein de l’aéroport d’une… association pour le maintien de l’agriculture paysanne (Amap), qui y distribuera des paniers bios ! « Le concessionnaire souhaite encourager l’agriculture durable en initiant la vente de paniers bios aux salariés de la plateforme », découvre-t-on dans le contrat de concession, dont des extraits sont publiés sur le site des Amis de la Terre .
Les produits agricoles locaux seront commercialisés « dans les restaurants et les boutiques de l’aérogare » . Entre enregistrement et embarquement, les passagers pourront déambuler dans « une ferme de démonstration » . Un « observatoire du suivi agricole » sera mis en place pour détecter « d’éventuelles pollutions diffuses » – comme si l’activité d’un aéroport ne générait qu’une pollution « éventuelle » – et suivre les « impacts du bruit sur les productions animales ». Un agriculteur mécontent pourra-t-il suspendre le trafic aérien ? « Plantations d’arbres » , « déplacement de mares » , « jardins collectifs » destinés à la « culture maraîchère » ou pour que les riverains « cultivent leur potager » , association d’insertion, « zones de compensation environnementale » … Ce n’est plus un aéroport, mais la plus grande ferme bio de France !
Cela fera-t-il oublier que 2 000 hectares de terres agricoles vont être recouverts de macadam ? Ou que le transport aérien représente 2,5 % des émissions mondiales de CO2 ?
« La généralisation des mécanismes de compensation, pour le carbone ou la biodiversité, est un alibi pour ne pas questionner l’utilité sociale et écologique des grands projets d’infrastructures. Les politiques continuent de construire des autoroutes et des aéroports, mais désormais ils sont écologiques grâce à la compensation… » , déplore Sylvain Angerand, sur le site des Amis de la Terre. En matière de compensation, Vinci, dont on découvre la fibre écologique, a encore du chemin à parcourir. Rien qu’en France, ce géant du BTP gère déjà 4 384 kilomètres d’autoroutes et 6 aéroports régionaux. Bref, des milliers d’hectares de jardins collectifs et d’agriculture bio à financer. On attend avec impatience que le groupe dirigé par Xavier Huillard y consacre une partie de ses 1,5 milliard d’euros de bénéfices (en 2009).
Mais en termes de « développement durable », Vinci ne devra pas oublier ses employés. Il y a un an, sa filiale Eurovia avait été condamnée pour « faute inexcusable » à la suite du décès d’un de ses salariés, travaillant dans l’épandage de bitume et mort à 56 ans d’un cancer de la peau lié aux émanations d’hydrocarbure. Les élus qui portent le projet, notamment Jean-Marc Ayrault, député maire de Nantes, et Jean-Yves Le Drian, président de la Région Bretagne, seront-ils également exigeants en matière de prévention de la santé au travail chez les ouvriers qui couleront le béton du futur aéroport ?
[^2]: « Point de vue » de Jacques Auxiette, Jean-Marc Ayrault, Daniel Delaveau, Jean-Yves Le Drian et Patrick Mareschal, paru dans le Monde du 15 février.