Vers une gouvernance des technologies émergentes ?
La course à la compétitivité pousse les multinationales à investir massivement dans les nouvelles technologies au détriment des technologies alternatives. Ainsi, selon l’opinion dominante, il serait possible de répondre aux grands défis de notre temps. Bernadette Bensaude-Vincent, qui est historienne des sciences, membre du comité d’éthique du CNRS et présidente de l’association Vivagora, nous livre un avis tout autre sur la question.
Les tentatives visant à manipuler la nature de l’échelle atomique et moléculaire, tels que les nanotechnologies et la biologie de synthèse, ou de manipuler le climat global, la géo-ingénierie, poseraient de sérieuses menaces à la justice sociale, l’environnement et la santé publique. « Prenons un exemple. La biologie de synthèse est présentée comme la fabrication de machines vivantes mais il faut prendre en compte les écosystèmes dans la production de ces organismes et c’est précisément ce que les multinationales ne font pas, d’où les risques importants qu’ils entraînent. Par ailleurs, un moratoire sur la bio-engineering serait illusoire puisqu’il existe plusieurs biologies de synthèse. Il faut sortir de la polarisation des débats avec d’un côté les pro-technologies et de l’autre une clique activiste anti-technologie. La controverse sert l’innovation » explique Bernadette Bensaude-Vincent.
Les nouvelles technologies évoluent rapidement et les règlements autour de leur fonctionnement seraient en retard ou totalement inexistants. « Tous les problèmes ne sont pas sous contrôle. Les Pères de la biologie de synthèse sont différents des Pères des OGM car le risque est une occasion supplémentaire pour faire de l’argent, du profit. Ils cherchent les bénéfices d’une technologie après l’avoir développé. Maintenant que nous savons que les nanotechnologies ne résoudront pas les problèmes de l’Afrique, changeront-ils de cap ? Bien sûr que non. Les lobbys sont puissants, ils influencent les politiques. Nous devons empêcher l’appropriation du débat par les industriels » pense l’historienne.
Le public aurait peu d’occasions pour discuter si et comment des nouvelles technologies seront utilisées ou la façon dont elles devraient être réglementées. « Pourquoi investissons-nous dans les nouvelles technologies ? Nous sommes dans une société de la connaissance. D’avantage de connaissances sont produites pour optimiser les rendements. Mais le public s’intéresse à plus que la concurrence. Le bien public est un bien commun de l’Humanité. Il faut définir les besoins et utiliser les technologies les plus adéquates et pas forcément les plus technicistes. Les cultures locales de riz, par exemple, nécessitent aussi beaucoup de science mais ce sont des low-technologies » ajoute Bernadette Bensaude-Vincent.
Comment la société civile, les communautés autochtones, et les mouvements sociaux peuvent travailler pour la participation démocratique et la bonne gouvernance des technologies émergentes est la question centrale aujourd’hui. « Pour faire remonter les constatations au niveau des politiques, il faut un comité international des technologies qui questionne les critères de développement, les risques mais surtout sur les valeurs liées aux techniques. La gouvernance remet en cause le modèle unique de développement, la vision occidentale colonisatrice. La diversité épistémique est le fondement de la démocratie » conclut l’historienne.
Céline Trégon
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