Cantonales 2011 : vers une crise politique majeure
L’abstention, extrêmement élevée dans les quartiers populaires, et la poussée historique du FN témoignent d’une désaffection qui touche autant la gauche que la droite.
dans l’hebdo N° 1145 Acheter ce numéro
Scrutin local mais conséquences nationales. Le premier tour des élections cantonales n’a pas fait mentir l’adage. Et l’on risque fort de ressentir longtemps les effets de cette élection qui constituait le dernier rendez-vous électoral avant 2012. Car l’abstention élevée et l’effondrement du parti présidentiel, désormais concurrencé par une extrême droite conquérante, constituent autant de symptômes d’une crise politique majeure. Une crise à laquelle, malgré des résultats encourageants, la gauche aura du mal à faire face. Faute d’offrir un espoir capable de faire reculer le désabusement et la défiance que traduit l’abstention.
Cette désaffection des urnes constitue la première donnée de l’élection de dimanche. Avec 55,68 % d’abstention, les électeurs ont établi un nouveau record dans un scrutin cantonal. C’est la troisième fois que moins d’un électeur sur deux se déplace. L’an dernier, l’abstention avait été de 53,6 % aux élections régionales. Elle avait été de 59,37 % aux européennes de juin 2009. Difficile dès lors d’expliquer cette démobilisation civique par des seuls éléments conjoncturels.
Les cantonales traditionnellement mobilisent peu, or c’était la première fois que ce scrutin n’était pas couplé aux élections régionales ou municipales depuis septembre 1988 – on avait alors enregistré un pic d’abstention à 50,8 %. Par calcul, le gouvernement a tout fait pour minimiser les enjeux. Il avait prévu de tirer argument de l’abstention pour refuser toute lecture politique du vote, ce que n’a pas manqué de faire le patron de l’UMP, Jean-François Copé. Après voir fait passer sa réforme territoriale contestée, il ne lui déplaisait pas que les électeurs boudent les cantonales et marquent ainsi le « déclin d’une institution, le conseil général », justifiant a posteriori la réforme prévue pour s’appliquer en 2014, comme l’ont souligné Claude Guéant et François Fillon à l’issue du premier tour.
Tout cela est exact mais ne rend compte qu’imparfaitement d’un phénomène croissant qui traduit une crise politique profonde : plus de la moitié des électeurs, sans oublier ceux qui ne font même plus l’effort de s’inscrire sur les listes électorales et pour lesquels il n’existe pas de statistiques fiables, ne croient plus à l’utilité du bulletin de vote. Et c’est dans les quartiers populaires que ce désenchantement est le plus marqué. Une fois de plus, l’abstention culmine en Seine-Saint-Denis (67,3 %) : dans 4 de ses 20 cantons renouvelables, elle a dépassé 70 %, atteignant 72,29 % à Aubervilliers-Est. Le dégoût pour la politique et la colère après tant de promesses non tenues constituent les puissants carburants de ce désenchantement, qui touche et la droite et la gauche.
Second fait majeur de ce scrutin, l’effondrement de l’UMP, qui totalise 16,97 % des suffrages exprimés, traduit autant le rejet du parti présidentiel que la débandade de la droite qui se présentait en ordre dispersé. Même avec l’appoint des candidats se revendiquant de la « majorité présidentielle » (5,46 %) et des « divers droite » (9,32 %), la droite fait un peu moins de 32 %. Arguant du caractère local du scrutin, un nombre inhabituel de candidats ont mis le drapeau de leur formation dans leur poche, si bien que l’UMP ne présentait officiellement que 1 132 candidats pour 2 026 cantons. Beaucoup ont été éliminés par le FN et ne figureront pas au second tour, en application notamment d’une disposition législative, promulguée au début de l’année, qui a relevé de 10 % à 12,5 % des inscrits le seuil de qualification afin de limiter les triangulaires.
Conséquence prévisible de cette claque électorale – que le gain de deux ou trois départements, dimanche prochain, ne fera pas oublier –, les règlements de comptes au sein de la droite vont redoubler en prévision de 2012. Nicolas Sarkozy y est de plus en plus contesté et son refus de tout front républicain – « ni vote FN, ni vote PS » – en cas de duel gauche-FN a ouvert une nouvelle fracture (voir ci-contre) y compris avec le Premier ministre.
Le reflux de la droite profite au Front national, qui confirme la poussée qu’annonçaient les sondages. Le bruit médiatique autour d’une possible qualification de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle a grandement contribué à crédibiliser ce vote. Avec 15,06 %, le parti d’extrême droite enregistre son meilleur résultat dans ce type d’élection, bien qu’il totalise 1 379 933 voix contre 1 491 170 en 2004 (12,13 %). Il progresse sur les terres traditionnellement de droite, bénéficiant des débats sur l’identité nationale et l’islam lancés par le chef de l’État. Il engrange aussi sur l’image médiatique de sa nouvelle présidente : omniprésente sur le matériel de campagne de candidats inconnus, le portait de Marine Le Pen figurait même sur les affiches officielles des candidats en lieu et place de la photo de ces derniers, dont le nom était juste apposé en dessous. Cette nationalisation du scrutin paie puisque le FN sera présent au second tour dans 403 cantons contre 276 en 2004.
Face à ce danger, le haut niveau de la gauche, dernière grande donnée du scrutin, paraît rassurant. Avec 48,97 %, le score cumulé de la gauche (PCF, PG, PS, PRG, divG, EELV) est inédit depuis plus de trente ans. La gauche n’avait plus jamais totalisé autant de suffrages exprimés depuis les élections cantonales de 1979 (54,48 %) et 1976 (55,54 %), qui reste son meilleur résultat. Mais si ce niveau élevé de la gauche atteste que ce n’est pas dans ce camp que Marine Le Pen a débauché ses électeurs, la gauche ne profite guère du rejet du sarkozysme. Elle mobilise peu les abstentionnistes, échouant à reconquérir les catégories populaires qu’elle a délaissées. Et son unité, affichée au soir du premier tour, reste de pure façade (voir ci-contre).
Nettement en tête, le PS enregistre avec 24,94 % un score moyen en comparaison des cantonales de 2004 (26,21 %) et 2001 (22,16 %). Avec 8,22 %, les écologistes font presque deux fois plus qu’en 2004 mais échouent à s’imposer comme la deuxième force de la gauche. Le Front de gauche, avec un score national de 8,92 %, lui souffle la place et confirme son ancrage de scrutin en scrutin, sans toutefois bénéficier vraiment de la quasi-absence de candidats d’extrême gauche.