Changer d’ère / Ce (très) cher nucléaire…
dans l’hebdo N° 1143 Acheter ce numéro
Que se passe-t-il dans la mouvance écologiste lorsqu’un de ses héros profère une connerie ? Tout le monde regarde ses pieds, embarrassé. C’est ce qui s’est passé il y a un an : James Hansen, climatologue de la Nasa devenu star et martyr pour avoir osé tenir tête à l’administration Bush en dénonçant les tripatouillages politiques opérés dans les rapports sur les changements climatiques, avait réclamé une relance vigoureuse et rapide du nucléaire aux États-Unis.
Certes, c’était seulement au cas où les renouvelables et les économies d’énergie ne suffiraient pas à faire fermer toutes les centrales à charbon d’ici à 2030. Hansen avait dit en substance : « Ce qui est cher, c’est de construire les centrales. Après, l’énergie nucléaire est bon marché. Mais, aux États-Unis, il faut des années avant de commencer à construire le moindre réacteur, ce qui fait grimper les coûts dans des proportions inouïes. Faisons comme en Angleterre, où ils ont compris qu’il y avait des limites au temps qu’on passe à étudier un projet. Une fois que le gouvernement aura donné son aval, le public aura un an pour objecter et demander des modifications. Ensuite il faudra y aller ! »
Après ces fortes paroles de l’icône, les écologistes ne partageant pas son analyse avaient prudemment tourné leur langue dans leur bouche avant d’oser une contradiction. Comme NC Warn, par exemple, un excellent groupe de vigilance citoyenne siégeant dans le Sud-Est, où pullulent réacteurs en activité et nouveaux projets : « Nous sommes d’accord avec James Hansen sur le fait que le changement climatique est un danger plus grand que le risque nucléaire. Nous partageons son souhait de voir un miracle résoudre la crise, mais nous demeurons convaincus que le nucléaire n’est pas la bonne solution. »
Un an plus tard, les antinucléaires américains seraient bien en peine de prédire l’avenir électrique de leur pays. Certes, le Président Obama a choisi son camp en classant le nucléaire dans les « énergies propres ». D’un autre côté, comme le souhait de Hansen d’expédier vite fait l’étude des nouveaux réacteurs ne semble pas se concrétiser, les coûts ne cessent de grimper, et les compagnies électriques tirent vraiment la langue.
On a appris début février qu’au Texas un projet de double réacteur avait vu ses coûts de construction passer de 5,6 milliards de dollars en 2006 à plus de 18 milliards en 2011. La ville de San Antonio, qui devait être partenaire à 50 %, baisse sa participation à 7,5 %. Idem en Caroline du Sud, où Duke Energy et Progress Energy, deux mastodontes du secteur, ne parviennent pas à trouver des investisseurs pour lancer leurs grands travaux. Du coup, ils envisagent d’augmenter par avance la facture des consommateurs pour donner confiance aux futurs financeurs. L’an dernier, dans le Massachusetts, EDF s’est fait plaquer par son partenaire local, qui a reculé face à l’inflation du prix du réacteur EPR. Commentaire ironique des écolos : « Si même l’industrie française, universellement compétente dans le nucléaire, n’y arrive pas, alors… »
L’espoir des opposants réside clairement dans la capacité des citoyens à se mobiliser contre le prix délirant de ces projets. Apparemment, la peur de l’accident, des fuites radioactives dans l’environnement, du danger des déchets en balade ou stockés dans des endroits douteux, ne constitue pas le même drapeau rouge pour les Américains que pour les Européens. Dans une réunion d’information le mois dernier, un jeune homme de 18 ans, novice et curieux d’apprendre, bâillait en entendant les avertissements sanitaires et environnementaux : « Peuh, on n’a rien sans risque, tout pollue quelque part ! » Mais, en découvrant que les coûts phénoménaux du nucléaire n’allaient pas être entièrement pris en charge par les électriciens, que les contribuables et les consommateurs allaient être sollicités par anticipation pour partager les risques avec les investisseurs, il a sursauté : « Ah, ce n’est pas un bon usage de notre économie de marché ! Où est le capitalisme quand on a besoin de lui ? Ce sont les actionnaires qui doivent prendre les risques, pas la population. » Les militants américains, qui connaissent leur monde et leur public, ont bien compris que l’opinion publique entend bien mieux ce genre d’argument.