De l’art nouveau

La galerie Côté Seine, à Paris, accueille le premier festival de la jeune photographie européenne. Éclectique et prometteuse.

Jean-Claude Renard  • 3 mars 2011 abonné·es
De l’art nouveau
© Circulation(s), Galerie Côté Seine, parc de Bagatelle, route de Sèvres à Neuilly, Paris XVIe, jusqu’au 20 mars, tous les jours, de 11 h à 18 h 30. Entrée libre.

Àcôté de grandes manifestations telles que « Visa pour l’image », à Perpignan, « Paris Photo » ou les « Rencontres photographiques d’Arles », additionnant aux cimaises nombre de photographes confirmés, connus et reconnus, cette exposition parisienne, dans le parc de Bagatelle, première du genre, et sous l’égide de l’association Fetart, « Circulation(s) », entend promouvoir la jeune photographie européenne. Au demeurant, du pas commun. Des ­photo­graphes qui, pour la plupart, sont nés au mitan des années 1970, à l’orée des années 1980. Volonté affichée à l’entrée de l’exposition : il s’agit de « découvrir les talents de demain, valoriser leur travail en les exposant, les aider à obtenir une reconnaissance critique et publique ».
Avec l’ambition « de fédérer et de mettre en lumière les initiatives lancées par des commissaires, des galeristes, des festivals, des collectifs, des écoles de photographie ou encore des éditeurs européens ».

Voilà surtout l’occasion d’observer des regards croisés, d’autres appréhensions du monde, d’autres inspirations, d’autres interrogations, à travers la présence d’une quarantaine de photographes au début d’un chemin d’auteur, qui témoignent de la vitalité de la photographie en Europe. Des images auxquelles s’ajoutent des installations, des vidéos, des diaporamas, des jeux interactifs. Exposition multiple, éclectique, en long et en large.

Des talents, il y en a. Pas seulement pour demain. Ainsi, Thomas Jorion (né en 1976), qui consacre son travail au champ spécifique des bâtiments en ruine, en cours de démolition, des lieux décatis, déchus, livrant une réflexion sur la matérialité et la temporalité. Plus dure sera la chute, semble dire le photographe. À voir comme une autre lecture des architectures modernes, froides et déshumanisées, croquées par Thomas Guyenet (né en 1977), entre Berlin et la Turquie, où la matière pèse, l’emporte sur les résidents. Une lecture qui fait elle-même écho au travail de Jitka Horázná (née en 1982), sur le paysage urbain en République tchèque, en postmoderne déprimant, inquiétant.

Sur le même thème urbain, Alban Lécuyer (né en 1977) a cherché à ­glisser dans l’objectif l’identité des quartiers, tentant de définir la place occupée par l’individu face à la mutation de son territoire. Et toujours dans le paysage, François Pinçon (né en 1957), figure d’ancien au cœur de ce florilège de gamins de l’objectif, étire ses images en panoramique, teintées de gris, le long de paysages lettons. C’est cadré, calé, distancié. C’est froid aussi, angoissant, comme la violence des couleurs acidulées dans les images de Viktoria Sorochinski (née en 1979), consacrées au rapport mère/fille. Un rapport tendu, tissé de fils qui se cherchent, s’affrontent.

Froid encore, sinon glacial, ce reportage de Pavlos Fysakis (né en 1969), avec une série sur les extrêmes frontières, aux impressions de bout du monde. De son côté, Alessandro Imbriaco (né en 1978) a saisi les nouveaux immigrants débarquant dans la ville éternelle, réfugiés discrètement dans des habitations de fortune, en banlieue ou dans le centre-ville de Rome, dans les sous-bois, les terrains vagues. Des images en couleur, âpres, qui disent la précarité, l’éphémère et la fragilité. Une espèce d’inquiétude chez les déracinés, les clandestins, qui forcément renvoie à l’actualité, celle de Tunisiens en quête d’eldorado. Voilà du lourd et pesant. Loin de la légèreté poétique de Maia Flore (née en 1988), qui suspend ses modèles dans l’air, au-dessus de divers paysages, affublés, costumés. Des personnages suspendus à l’absurde, soumis à l’imaginaire, aux souvenirs d’enfance. Ça médite ferme. L’exposition propose seulement quelques clichés de Maia Flore. Mais haute voltige, dans le grand format, tout en couleur.

À l’évidence, on n’est pas là dans le photojournalisme pur, le reportage de guerre, de (bonnes) causes humanitaires, écologiques, industrielles. Foin de guerre en Irak, de corps mutilés, de jungle calaisienne, de déforestation sauvage, de malnutrition, de drame tchétchène, de tragédies du côté de Tchernobyl, de saloperies sociales, de réfugiés sur l’île de Lampedusa débarquant sur de frêles embarcations. Les intentions esthétiques sont d’autant plus fortes. Et si l’exposition présente ainsi l’aboutissement de cinq ans de travail et d’engagement de l’association Fetart auprès de jeunes photographes, d’un clic à l’autre, c’est avant tout un sentiment de liberté qui circule, une liberté de ton et d’esprit, en dehors des formatages.

Culture
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