Et l’abstention ?
dans l’hebdo N° 1146 Acheter ce numéro
Parmi les électeurs qui souhaitent encore s’exprimer en votant, près d’un ouvrier sur quatre, près d’un employé et d’un jeune actif – comprenez précaires – sur cinq sont attirés par le FN et ses pseudos solutions. Une fraction des catégories populaires préfère donc un parti désignant l’immigré comme l’un des principaux maux plutôt que l’une des composantes de la gauche. Si c’est bien l’insécurité économique et sociale qui motive leur vote protestataire, et non un racisme invétéré, ils se trompent bien sûr de cible. L’immigré, musulman ou pas, n’a pas provoqué la crise financière ni ne délocalise. Il partage juste leur précarité, ce qui est perçu comme déjà trop.
Mais l’autre enseignement, ou plutôt confirmation de ce scrutin, c’est qu’une part encore plus grande de ces catégories populaires et classes moyennes se détournent purement et simplement du vote. Pour eux, ce n’est plus un levier pour agir, pour faire bouger la société, même pas un moyen d’interpeller des élus « de proximité ». Cette désaffection, qui se compte en millions d’électeurs, aurait dû davantage interpeller la gauche. La parenthèse de 2007, et sa participation record, semble désormais bien loin.
La réduction comme peau de chagrin de toute perspective d’ascension sociale, le déclassement réel ou ressenti d’une large part des classes moyennes, la fin d’une relative sécurité professionnelle et trois décennies d’individualisation – familiale, professionnelle, démocratique – ont-ils provoqué d’irréparables ravages ? L’abstention est-elle le signe d’une irrémédiable résignation ? Plusieurs signes indiquent que non. Le vaste mouvement contre la réforme des retraites date d’il y a à peine quatre mois. Grèves chroniques et occupations de lieux de travail perdurent. Collectifs et associations continuent de combler bien des vides.
C’est plutôt le politique et ses représentations institutionnelles à gauche, partis ou même syndicats, qui sont en crise, déconnectés de celles et ceux avec lesquels ils sont censés agir.