Fukushima : l’illusion du contrôle
En moins de trois semaines, on a vu se fissurer la confiance affichée de l’exploitant japonais Tepco. De quoi relativiser quelques certitudes françaises.
dans l’hebdo N° 1146 Acheter ce numéro
Depuis le funeste 11 mars 2011, explosions, « breaking news » et panaches radioactifs sont suivis quasiment en direct par la planète. La gestion de la plus grave crise nucléaire depuis Tchernobyl serait-elle transparente ? Si le flux d’infos quotidien ne faiblit pas, leur qualité et leur véracité laissent à désirer. À tous les niveaux, les acteurs de la filière nucléaire ont tenté de minimiser la catastrophe. Au Japon bien évidemment, mais aussi en France, où le discours optimiste est relayé sans grande précaution par les responsables de l’industrie nucléaire et du gouvernement. Comme s’il fallait prouver, en dépit des rebondissements, que la situation reste « maîtrisée ».
Le 12 mars, l’explosion sur le réacteur n° 1 avait été « volontairement » déclenchée pour « dépressuriser » l’enceinte de confinement. Officiellement, celle-ci n’est nullement endommagée. Le risque de fusion « semble pouvoir être stabilisé du point de vue du refroidissement du cœur » si de l’eau de mer est injectée, explique l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), s’appuyant sur les informations pourtant « parcellaires » de l’exploitant, Tokyo Electric Power (Tepco). De son côté, Greenpeace s’inquiète du risque de corrosion lié au sel de l’eau de mer utilisée. Ils sont bien les seuls. Le lendemain, Anne Lauvergeon salue sur France 2 le « formidable sang-froid de Tepco et des autorités de sûreté nucléaire japonaises » . Précisons que son homologue japonais, Masataka Shimizu, PDG de Tepco, est absent, en arrêt maladie. Deux semaines après la catastrophe, il n’avait toujours pas rendu visite aux « liquidateurs » de la centrale en ruine. « Chaque jour qui passe est un jour de gagné » , rassure alors la PDG d’Areva. Le 15, deux explosions endommagent les bâtiments des réacteurs 2 et 4. Des fumées radioactives s’échappent du n° 3. Là encore, on assure que le rejet « a dû s’atténuer rapidement avec la distance » (IRSN).
Le 17 mars, les experts découvrent une nouvelle menace : les piscines entrent en ébullition, le combustible s’y réchauffe. Ce qui n’empêche pas François Fillon de déclarer, toujours sur France 2, qu’il « a le sentiment que les 4 réacteurs sont à peu près stabilisés » . Des réacteurs dont on apprend qu’ils sont finalement entrés partiellement en fusion.
Le 21 mars, on se réjouit du rétablissement de l’alimentation électrique. L’IRSN, qui continue de donner foi aux informations fournies par Tepco, considère que l’enceinte de confinement du réacteur 3 « semble toujours étanche » . « Il n’y aurait donc plus de rejet direct de produits radioactifs dans l’environnement pour l’instant. »
Le 24, trois salariés de Tepco qui interviennent sur le système de refroidissement sont fortement irradiés et hospitalisés. Le combustible contenu dans le réacteur 3, fonctionnant au MOX, un mélange d’uranium et de plutonium fabriqué par Areva, serait peut-être désormais à l’air libre, le réacteur n’étant donc plus vraiment étanche. Le 28, des traces de plutonium sont découvertes dans le sol autour de la centrale. Greenpeace, qui relève une radioactivité importante à 40 km de là, demande l’extension du périmètre d’évacuation. Dans les sous-sols, l’eau qui ruisselle du réacteur 2 est assez radioactive pour déclencher vomissements et maux de tête immédiats assortis d’un risque de cancer à moyen terme. Alors que le gouvernement japonais reconnaît que la situation est devenue « imprévisible » , l’IRSN évoque enfin l’état « très préoccupant » des réacteurs 1 et 3.
« Les autorités communiquent davantage, mais les informations clés sur l’environnement et la sûreté ne sont pas au rendez-vous » , critique Roland Desbordes, président de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). Pour lui, si côté français l’Autorité de sûreté nucléaire a correctement fait son travail, les experts de l’IRSN ont renoué avec leurs vieux démons quand, après la catastrophe de Tchernobyl, la tranquille assurance des experts de l’État répondait au black-out soviétique. « En cas d’accident grave en France, c’est le genre de discours très rassurant qu’ils nous ressortiraient » , déplore Roland Desbordes. Il n’y a pas que Tepco et ses falsifications jamais sanctionnées (lire Politis du 24 mars), ou l’IRSN et son éternel optimisme. Le 23 mars, la Criirad dénonçait « les dissimulations » du département de l’Énergie aux États-Unis sur les mesures de radioactivité dans l’air après le survol de la Californie par le nuage radioactif. Le nucléaire, même civil, est définitivement incompatible avec toute notion de transparence et de contrôle démocratique.