Fukushima-sur-Rhône

Incidents à répétition, non-respect des normes antisismiques… Sommes-nous vraiment sûrs d’être à l’abri d’un accident nucléaire majeur ?

Ivan du Roy  • 24 mars 2011 abonné·es

Le 1er décembre 2009, vers 19 h, des signaux d’alarme résonnent dans le centre de contrôle de la centrale de Cruas, au bord du Rhône. Des débris végétaux charriés par le fleuve bloquent le système de refroidissement du réacteur n° 4, avec les risques de surchauffe que l’on sait si le problème perdure. Les techniciens d’EDF décident d’arrêter le réacteur. L’incident est classé « niveau 2 » sur l’échelle Ines [^2], qui va de l’« anomalie » (niveau 1) à l’accident majeur (niveau 7), telle la catastrophe de Tchernobyl. Le même type d’incident s’est reproduit en Alsace, fin décembre 2010, à Fessenheim, avec des déchets venus du Rhin. Le 16 février 2011, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) classe un autre incident en niveau 2, à la centrale du Tricastin cette fois. Des défauts sont constatés sur les trois groupes électrogènes de secours des réacteurs n° 3 et n° 4. Ces groupes permettent d’alimenter en courant les systèmes de sécurité de la centrale en cas de coupure de l’alimentation électrique externe, l’une des causes de l’accident de Fukushima.

Illustration - Fukushima-sur-Rhône

Que serait-il arrivé si la centrale du Tricastin avait connu une telle coupure, comme celle qui a plongé dans le noir le centre de recherche nucléaire de Cadarache en 2006 avant que les systèmes de secours ne se mettent en route ? Et si, parallèlement, des débris étaient venus obstruer les circuits de refroidissement, comme à Cruas ou à Fessenheim ? Et si…

En une décennie, ces incidents et « événements significatifs » sont passés de 450 par an en moyenne à un millier en 2010. Si ces dysfonctionnements, pris isolément, n’ont pas de conséquences graves à l’extérieur, leur multiplication montre que la France n’est pas à l’abri d’une conjonction d’incidents techniques et d’événements naturels pouvant déclencher un emballement nucléaire. On l’a constaté à la centrale du Blayais en Gironde, fin 1999, inondée après la tempête qui balaye l’Aquitaine.

Nul besoin d’un tsunami pour frôler l’accident majeur. Cinq centrales sont situées à proximité de zones sismiques sensibles. De Fessenheim, dans le Haut-Rhin, au Tricastin, au bord du Rhône, ce sont donc 16 réacteurs qui sont soumis à un aléa « modéré » ou « moyen » de tremblement de terre (seules la Martinique et la Guadeloupe, avec leurs volcans, sont classées en zone de sismicité « forte »). Leurs protections antisismiques sont censées résister à un séisme un peu supérieur aux tremblements de terre de référence, qui datent tous du XIXe siècle. La centrale de Cruas, par exemple, doit pouvoir encaisser des secousses d’une magnitude de 5,2, alors que le séisme de référence avait atteint une magnitude de 4,7 en 1873, à seulement 4 kilomètres de l’emplacement de la centrale.

Problème : « Les réacteurs nucléaires français ne respectent pas les normes sismiques de référence. EDF est allé jusqu’à falsifier les données sismologiques pour éviter d’avoir à le reconnaître et d’investir au moins 1,9 milliard d’euros afin de mettre les réacteurs aux normes » , accuse le Réseau Sortir du nucléaire, qui a publié sur son site un document confidentiel montrant les écarts entre les normes de sécurité requises et celles mises en œuvre par EDF ^3. Un communiqué de l’ASN, le 22 décembre 2010, confirme dans son langage très modéré « une anomalie de tenue au séisme de divers matériels situés dans la station de pompage de certains réacteurs » , dont ceux de Cruas et du Tricastin, à proximité de zones sismiques sensibles. Cela n’a pas empêché le président de la République de prétendre, mi-mars, que le nucléaire français était « le plus sûr » . Jusqu’à quand ?

[^2]: International Nuclear and Radiological Event Scale.

[^3]: www.sortirdunucleaire.org 

Publié dans le dossier
Libye, la guerre du moindre mal
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