Gérard Longuet : une ligne vraiment très droite
Le parcours de Gérard Longuet, d’Occident au gouvernement, des barres de fer aux ministères, est celui d’une part des sarkozystes. L’historien Nicolas Lebourg revient sur les évolutions d’une droite décomplexée.
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La concomitance de l’entrée de Gérard Longuet au gouvernement et de l’organisation à l’Assemblée nationale, par le député Hervé Novelli, d’une ovation au fraîchement condamné Éric Zemmour a remis sur le devant de la scène leurs parcours politiques, depuis l’extrême droite radicale jusqu’à la droite de gouvernement. Le mouvement Occident, groupuscule d’extrême droite, dont furent jadis membres Longuet et Novelli, a eu une existence fugace mais protéiforme, s’achevant pour l’essentiel par l’intégration aux droites parlementaires.
Qu’on s’explique : l’aventure d’Occident commence avec la Ve République. À la suite de la journée insurrectionnelle du 13 mai 1958, l’État dissout les groupes de l’extrême droite activiste. Le plus dynamique d’entre eux, Jeune Nation, se refonde, avant d’être de nouveau interdit. Que faire ? Les militants étudiants investissent l’Union nationale des étudiants de France (Unef) et, à son congrès de 1960, feignent de jouer la « majorité silencieuse » qui se révolte face aux positions anticolonialistes du syndicat. Avec François d’Orcival en tête (aujourd’hui plume de Valeurs actuelles), ils lancent une tendance interne, la Fédération des étudiants nationalistes (FEN).
Après une tentative ratée de manipulation du mouvement poujadiste, la FEN prend son indépendance. De nouveaux étudiants la rejoignent, dont Gérard Longuet, Alain Madelin et Alain Robert, aujourd’hui délégué général du Mouvement national des élus locaux (Mnel) et membre du bureau des Réformateurs, premier courant au sein de l’UMP, présidé par Novelli. Quand leur direction adopte un virage stratégique (l’abandon de l’activisme) et idéologique (l’exaltation de la race blanche plutôt que de l’Empire), ils la récusent et font scission. Naît ainsi, en 1964, le mouvement Occident. Le nom provient d’un groupe jadis mené par l’étudiant Jean-Marie Le Pen, spécialisé dans les bagarres du Quartier latin.
Occident est une auberge espagnole, sans guère d’autre passion que l’affrontement physique. Gérard Longuet et François Duprat tentent de structurer idéologiquement le groupe. Un tract, rédigé par le second, donne le ton : « Tuez les communistes partout où ils se trouvent ! » Pour le reste, sont là aussi bien des antisémites forcenés que des juifs ou des gitans…
Les cadres souhaitent que la violence permanente finisse par plonger le pays dans un chaos dont surgirait l’ordre nouveau, mais ils savent aussi qu’elle doit d’abord demeurer à un stade raisonné. Lorsque des exaltés décident de « régler son compte » au « bolcho » Jacques Rémy, Gérard Longuet le joint et le prie d’éviter le Quartier latin. Mais, en 1967, tout dérape. Sur le campus de Rouen, Gérard Filoche (futur cadre trotskyste puis socialiste) et ses camarades tiennent un stand pour la paix au Vietnam. Surgissent les Parisiens d’Occident, qui se livrent à une orgie de violence.
Il y a plusieurs blessés graves, un jeune est dans le coma. Son père est commissaire de police. Le maire de Rouen est Jean Lecanuet, qui deux ans plus tôt a obtenu 15 % des voix à la présidentielle. Cette fois, l’enquête ira au bout. Deux des membres d’Occident fournissent aux policiers la liste nominative des membres du commando. Devedjian, Longuet, Madelin, Robert et d’autres sont placés en détention. En attendant leur jugement, les activistes cherchent les « balances ». Duprat est tabassé. Soupçonné à tort, Patrick Devedjian se voit infliger le supplice de la baignoire. Il quitte le groupe mais conserve des liens, comme militant dans la mouvance « antisioniste » animée par Duprat, plus tard comme avocat lorsque celui-ci et Alain Robert, les deux têtes d’Ordre nouveau, sont poursuivis en justice.
Ce n’est qu’après Mai 68 que les chefs d’Occident réalisent que, pour satisfaire leur soif d’action antigauchiste, le mieux eût encore été de réaliser des actions terroristes imputables à l’extrême gauche. Néanmoins, juste après, l’un des leurs, aujourd’hui actif dans la droite sécuritaire, fait sauter une librairie maoïste. Occident, dont déjà un raid avorté sur la Sorbonne le 3 mai 1968 avait lancé les « événements » , est dissous.
Avec l’après-gaullisme, une part des nationalistes commence à se recycler à droite. Alain Madelin, Patrick Devedjian, Xavier Raufer et Hervé Novelli sont repérés par l’équipe de Georges Albertini, ex-collaborationniste devenu conseiller et financier occulte de toutes les droites. Les autres fondent une série de groupuscules, dont le Groupe union défense, mené par Robert et dont Longuet écrit la charte. Le GUD lance fin 1969 la réunification des nationalistes sous le nom d’Ordre nouveau. Le premier meeting est empêché car une bombe attribuée aux « gauchistes » fait sauter la salle. Selon Jean-Marie Le Pen, il n’y a guère de doute qu’Ordre nouveau a lui-même commis cet attentat… Le mouvement tente le très grand écart : à la fois faire de la politique et tenir la rue. Il dispose d’une direction secrète, quoique connue des Renseignements généraux et des trotskistes de la Ligue communiste, qui y ont infiltré un membre.
Malgré cela, même après les révélations sur le passé de Lionel Jospin, la présence en 1971 à la tête d’Ordre nouveau de Gérard Longuet, énarque stagiaire travaillant pour le patronat, et de Claude Goasguen, jeune universitaire et futur député de Paris, ne sort pas d’un minuscule cercle d’initiés. La seule information, souvent reprise, est la rédaction par Gérard Longuet du programme économique du Front national, le mouvement créé par Ordre nouveau en 1972. Les affrontements d’Ordre nouveau avec la Ligue communiste sont en fait manœuvrés en sous-main par Raymond Marcellin. Le ministre de l’Intérieur s’est choisi Alain Krivine comme ennemi prioritaire. À l’été 1973, après une nuit d’émeute entre néofascistes et trotskistes faisant 76 blessés parmi les forces de l’ordre, les deux mouvements sont conjointement dissous. La plupart des cadres d’extrême droite ont alors l’amertume de découvrir qu’ils ont été le jouet d’un pouvoir qu’ils voulaient balayer.
La présidentielle de 1974 est l’occasion d’un grand recyclage des radicaux. Dénué d’appareil partisan, Valéry Giscard d’Estaing construit une campagne, puis un parti, en récupérant les éléments talentueux à disposition. La débâcle des droites en 1981 amplifie le mouvement. Les anciens néofascistes se font surtout libéraux, parfois membres de la garde rapprochée de Charles Pasqua, comme Alain Robert. Leur évolution vers le libéralisme correspond somme toute à celle de l’ensemble de la classe politique. Gérard Longuet préconisera certes en 1991 une alliance des droites et du FN, mais bien d’autres l’ont fait qui n’avaient jamais défendu leurs idées dans la rue.
Est-ce à dire pour autant qu’il ne faudrait voir que hasard dans la présence massive des ex-activistes dans les rangs sarkozystes ? Il n’est pas très digne de reprocher à un homme de 2011 sa jeunesse de 1962 ; il est absurde de ne pas la recontextualiser, rappelant en retour l’ampleur de la violence physique et intellectuelle du stalinisme. Mais il s’agit aussi du remplacement des logiciels idéologiques des droites. Nicolas Sarkozy fut l’un des rares soutiens français à l’invasion de l’Irak, il a été le premier grand leader de droite à se revendiquer de cette étiquette. Toute trace du gaullisme a été liquidée au bénéfice d’un libéralisme faisant l’apologie des inégalités (Jean-François Copé ne cessant de fustiger la nuit du 4-Août). Sans se confondre, ce darwinisme social assumé s’est considérablement rapproché d’une extrême droite qui propose d’aménager le libre marché par le seul discriminant ethnique. Derrière l’ovation orchestrée par l’ex-ministre Hervé Novelli, en présence du nouveau ministre Gérard Longuet, pour la péroraison d’Éric Zemmour contre « l’égalitarisme » et la tyrannie de la « pensée unique » , il y a peut-être une nouvelle réalité : l’intégration de la vulgate de l’extrême droite à la pensée unique.