La convergence fiscale, un outil pour la surenchère libérale

De part et d’autre du Rhin, les gouvernements de droite citent leur voisin en exemple. En prenant soin de n’insister que sur les aspects qui les arrangent, notamment les allégements d’impôts.

Rachel Knaebel  • 10 mars 2011 abonné·es

Le modèle allemand sert parfois à dire tout et son contraire. Au printemps 2009, Nicolas Sarkozy prenait Berlin en exemple pour défendre le bouclier fiscal français. À l’automne 2010, la majorité fait machine arrière. Elle souhaite désormais supprimer ce bouclier fiscal et alléger l’impôt sur les grandes fortunes (ISF), afin, dit-elle, de rapprocher le système français de l’allemand. Car il n’existe effectivement pas de bouclier fiscal outre-Rhin. Et l’impôt sur le patrimoine y a été abandonné en 1997. C’est Helmut Kohl qui y a mis fin et non « les socialistes » , comme l’a prétendu le président français le 16 novembre 2010.

Le 18 janvier dernier, Laurence Parisot est elle aussi partie à l’attaque. Pour rattraper le retard français en matière de compétitivité et alléger le coût du travail, elle émet l’hypothèse d’une hausse de la TVA et de la CSG. Et souhaite donc transférer une partie des cotisations sociales sur la taxe à la consommation – que tout le monde paie de la même manière, y compris les plus pauvres –, selon le principe de la « TVA sociale ». Là aussi, le patronat français agite l’exemple allemand, où le taux principal de TVA a été relevé en 2007 de 16 % à 19 % (contre 19,6 % en France). Dans son rapport publié le 4 mars, la cour des comptes propose d’aligner le taux réduit de TVA à 7 %, ce qui doit servir à compenser une baisse du coût du travail. Mais cette hausse a d’abord servi à baisser l’impôt sur les sociétés et n’a que très marginalement diminué les cotisations d’assurance chômage, comme l’a noté le député Jérôme Chartier, porte-parole du groupe UMP sur le budget, dans le rapport sur la convergence fiscale franco-allemande remis début janvier.

Si la charge moyenne fiscale est plus élevée en France (42,8 % du PIB contre 39,3 % en Allemagne), elle demeure inférieure aux « modèles » suédois et danois. Les niveaux de taxation globale du travail et de la consommation sont proches. Celui de l’imposition du capital, qui inclut l’impôt sur les sociétés, la taxe foncière, les droits de succession et l’impôt sur la fortune, est bien plus haut chez nous (38 %) que chez nos voisins (23 %). Voilà qui intéresse Paris… Et Sarkozy. « En situation d’endettement public important comme aujourd’hui, ce serait plus raisonnable de renforcer l’imposition du patrimoine en Allemagne plutôt que de le supprimer en France, estime Gerhard Schick, député Verts au Bundestag, membre du groupe franco-allemand de la commission des finances. Ce débat de la convergence ressemble à un outil argumentaire pour faire passer la disparition de l’ISF. »

Reste que l’idée suit son cours. Jérôme Chartier propose de supprimer le dispositif actuel de l’ISF. Mais il faut bien compenser les 4,4 milliards d’euros de manque à gagner (pour 2010). Le parlementaire préconise donc de maintenir un impôt sur les patrimoines qui sont supérieurs à 4 millions d’euros (l’ISF touche actuellement les fortunes à partir de 790 000 euros), au taux réduit de 0,5 %. La résidence principale en serait exclue. Le député UMP propose aussi de relever les taxes foncières des résidences secondaires. Et suggère de taxer les plus-values réalisées sur la vente de l’habitation principale quand la valeur du bien excède 1,2 million.

La fiscalité allemande de la succession intéresse également l’UMP. L’élu du Val-d’Oise note que « la France se situe parmi les pays les plus favorables en termes de transmission inférieure à 100 000 euros et qui taxe le plus les donations supérieures à 5 millions d’euros », et souligne une situation allemande « meilleure pour la transmission des patrimoines élevés ».

L’Allemagne a réformé son imposition sur les héritages en 2008. « Les montants exemptés d’impôt ont été relevés, explique Hans-Dieter Wirtz, président de la chambre des conseillers fiscaux de Sarre, région frontalière de la Lorraine. Dans le cas de transmission d’entreprise, les impôts peuvent être différés ou même annulés quand les descendants reprennent l’affaire en gardant les employés » , poursuit l’expert. « Cette réforme a donc complètement exempté d’impôts certaines entreprises héritées , précise Richard Pitterle, député de Die Linke, membre de la commission des Finances au Bundestag. *La direction prise par l’imposition de la succession chez nous n’est donc pas non plus une recommandation. »
*

L’Allemagne a par ailleurs abaissé son impôt sur les sociétés de 25 % à 15 % il y a trois ans, contre 33,3 % en France, ce qui n’empêche pas les très grandes entreprises de le contourner (le taux d’imposition des sociétés du CAC 40 est en moyenne de 13 %…). Le taux de la taxe professionnelle tourne (selon les collectivités) autour 15 % [^2]. Le parti libéral FDP, au pouvoir avec la CDU, souhaite la supprimer. S’inspire-t-il de la fiscalité sarkozyste ? En France, elle n’existe plus depuis plus d’un an, alors même que les communes déplorent un déficit global record de 11 milliards d’euros. « Une initiative franco-allemande serait souhaitable et bénéfique en matière d’harmonisation européenne de l’imposition sur les sociétés ou de fiscalité écologique, conclut Gerhard Schick, pour les Verts. Je doute toutefois que cela arrive. » Richard Pitterle, pour Die Linke, est encore plus sceptique : « Une harmonisation signifie souvent que les impôts baissent. Si cela voulait dire relever les taux, d’accord. Mais ce n’est pas le cas. »

[^2]: En Allemagne, les professions libérales ne sont pas soumises à la taxe professionnelle.

Publié dans le dossier
La vérité sur le modèle allemand
Temps de lecture : 5 minutes