La Nef : « Créer une banque éthique européenne »

Jacky Blanc est président du directoire de la Nef, qui arrive en tête de notre classement. Il explique en quoi elle constitue une alternative, et comment elle pourrait étoffer son offre.

Thierry Brun  • 17 mars 2011 abonné·es

Politis : Une forte médiatisation de la responsabilité des banques dans la crise financière de 2008 a donné lieu à différentes campagnes pour changer de banque, notamment celle d’Éric Cantona et du collectif Sauvons les riches. Cela a-t-il eu un impact sur la Nef ?

Jacky Blanc : Dans les jours qui ont précédé et ceux qui ont suivi l’appel à changer de banque d’Éric Cantona, les demandes de renseignements ont été multipliées par dix. Nous n’avons pu y faire face parce que nous ne sommes pas équipés pour un tel afflux. La nouveauté, c’est que les médias se sont intéressés à nous. Nous nous sommes retrouvés sur les plateaux de télévision, en direct dans les grands journaux, alors que cela ne nous était jamais arrivé. Nous nous sommes rendu compte que la Nef a été identifiée comme une alternative. En même temps, nous avons été obligés de rétablir une vérité : nous ne sommes pas vraiment une alternative bancaire. La Nef exerce une activité éthique depuis plus de vingt ans mais sous un statut particulier qui n’est pas un statut bancaire de plein exercice. On peut dire brutalement que, de tous les pays d’Europe de l’Ouest, la France est le seul qui n’ait pas sa banque éthique.

Pourquoi la France est-elle à la traîne ?

Dans le mouvement qui a créé la Nef il y a plus de vingt ans, nous n’avons pas réussi à passer la marche de la banque. Nous avons seulement atteint le statut intermédiaire de société financière, qui était plus accessible. Nous traînons comme un boulet ce statut ; nous avions pensé que nous passerions au stade de banque, mais de nombreux obstacles réglementaires nous ont empêchés de l’obtenir. Cette situation est due à une forte orientation de notre système réglementaire vers une concentration bancaire de plus en plus importante.

Est-ce si difficile de créer une banque éthique en France aujourd’hui ?

Créer une banque éthique ou pas, c’est la même chose pour l’autorité bancaire. La Banque de France n’accorde plus d’agrément. La dernière banque agréée a été la Socram Banque, filiale de la Macif et de la Maif, qui était une société financière comme nous. Elle a une activité de crédit spécialisée et, pour devenir une banque, elle s’est associée à la Caisse d’épargne. ­Désormais, elle fait partie du groupe BPCE. Il y a de nouvelles banques intégrées dans de grands groupes, mais pas de nouvelles banques autonomes. Nous sommes aussi dans un groupe, mais nous souhaitons avoir une certaine autonomie. La Nef est en effet associée au Crédit coopératif, qui est lui-même une banque du groupe BPCE.

Il y a pourtant une forte demande qu’une alternative bancaire existe et que la Nef devienne cette alternative…

Apparemment, ce n’est pas possible en dehors d’une intégration dans un groupe bancaire. C’est dur à dire pour nous, mais ce n’est pas nous qui en portons la responsabilité. Si la société civile veut une banque éthique autonome en France, il faut qu’elle la réclame. En même temps, j’ai aussi la responsabilité d’assumer l’existence de la Nef. C’est un point de départ précieux pour autre chose, qu’il faut préserver.

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Actuellement, votre activité est réduite à collecter de l’épargne…**

Notre activité ne peut être que de la collecte d’épargne sous forme de dépôts à terme de plus de deux ans. C’est notre seule possibilité. On ne peut gérer des comptes à vue, des comptes courants. La loi française interdit à une société financière de faire autre chose que de l’épargne. En revanche, nous avons réussi à obtenir un agrément assez large en termes de crédits, mais il est contrôlé par le Crédit coopératif. Dès que nous faisons un prêt à partir d’un certain montant, nous devons avoir la signature du Crédit coopératif. Notre liberté est très relative. Nous avons aussi un accord commercial avec le Crédit coopératif, dans lequel nous sommes en quelque sorte un apporteur de clientèle pour les comptes chèques et les livrets.

La Nef avait prévu de fusionner
avec Banca Etica, banque éthique et alternative italienne, mais le projet a été récemment repoussé. Comment allez-vous faire dans les prochains mois ?

Banca Etica a eu des difficultés liées à la crise financière, avec un changement de statut et de gouvernance. Cela a été un tel choc de renoncer à ce projet, sur lequel nous avions travaillé pendant plus de trois ans ! Il nous faut en faire le deuil. Après l’Italie, il reste les autres pays européens… Nous sommes engagés dans une discussion avec les sociétaires sur les différentes hypothèses qui sont devant nous. Nous espérons arriver à quelque chose dans le premier semestre de l’année. L’assemblée générale de la fin mai sera le point d’orgue de cette orientation. Notre rêve est de créer une banque éthique européenne. À quelle échéance ? On ne le sait pas. Mais c’est un projet qu’il ne faut pas perdre de vue. C’est aussi le souhait de la société civile. Maintenant, nous devons continuer d’exister à partir de ce que nous sommes aujourd’hui, et nous devons assumer cette existence-là. La société civile n’est plus une bande de marginaux, c’est un courant extrêmement fort que l’on ne pourra pas endiguer.

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