« Le capitalisme est encore plus violent avec les femmes »
L’écologie contribue-t-elle au renouveau du féminisme ? Cécile Duflot, secrétaire nationale d’Europe-Écologie-les Verts, répond à Élisabeth Badinter, qui prétend qu’être mère et écolo est forcément rétrograde.
dans l’hebdo N° 1142 Acheter ce numéro
Il était prévu que cet entretien soit un débat entre Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie et du Développement durable, et Cécile Duflot, porte-parole du groupe Europe Écologie-Les Verts. Toutes deux ont été la cible des attaques d’Élisabeth Badinter dans son ouvrage le Conflit, la femme et la mère, paru voici un an. Leurs réactions face à celles et ceux qui considèrent que l’écologie renvoie les femmes – en particulier les mères – à la maison avaient fait apparaître des convergences. Peu banal au regard de leurs familles politiques. D’où l’envie de confronter plus en détail leurs points de vue sur cette écologie politique qui, pour les unes, modernise le féminisme, pour les autres, le font régresser. Fervente sarkozyste, par ailleurs très critiquée ces jours-ci par les écologistes sur la question des gaz de schiste, Nathalie Kosciusko-Morizet avait d’abord accepté de participer à ce débat. Mais elle s’est rétractée deux jours avant le bouclage de notre hebdomadaire pour des raisons d’emploi du temps. Ce que nous regrettons fortement, surtout quand Politis essaie d’ouvrir le champ de ses interlocuteurs. Parole, donc, à Cécile Duflot.
Politis : Comment vous situez-vous vis-à-vis de l’héritage du MLF ?
Cécile Duflot : Le féminisme, ce n’est pas qu’une histoire, c’est aussi une actualité. Comment pourrait-il en être autrement quand on voit que, trente ans après les premières lois sur l’égalité salariale, les femmes touchent près de 20% de salaire en moins que les hommes ; que, dix ans après les lois sur la parité, 4 députés sur 5 sont des hommes ; ou que, trente-cinq ans après la loi Veil, des centres IVG ferment, mettant en danger le droit fondamental d’avorter. Chaque semaine, 3 femmes meurent du fait des violences conjugales. Les combats pour une pleine égalité sont encore nombreux !
Que pensez-vous des nouveaux groupes féministes ?
Le féminisme a toujours été en renouvellement, comme les formes de domination qui s’exercent sur les femmes. C’est extrêmement positif de voir se poursuivre le combat féministe sur d’autres problématiques et sous d’autres formes. Il n’y a pas lieu de les opposer aux anciennes : les nouvelles actrices de l’égalité sont nourries des acquis des générations précédentes. Moi-même, jeune femme et mère, je n’aurais pas pu accéder aux responsabilités de mon parti sans les lois sur la parité.
L’an dernier, Élisabeth Badinter a publié un essai contre l’écologie et les « mères écolos ». Selon elle, l’écologie, amalgamée au naturalisme, semble marquer un retour en arrière. Que lui répondez-vous ?
Élisabeth Badinter n’a pas compris, ou n’a pas voulu comprendre, ce qu’est l’écologie. Ce n’est pas une mythification de la nature. C’est le choix d’un autre modèle de vie où les femmes et les hommes ne seraient pas seulement considérés en fonction de leur utilité productive ou de leur pouvoir d’achat, comme l’imposaient les anciens modèles de gauche comme de droite. Pour les écologistes, la simple dénonciation du capitalisme ne suffit pas, l’inégalité entre hommes et femmes ne résultant pas seulement d’une inégalité de classe. Nous devons lutter contre le capitalisme consumériste, qui résume la femme à un statut de « ménagère de moins de 50 ans » ou de « force de travail ». Les revendications féministes ont naturellement trouvé leur place au sein des mouvements écologistes, les penseuses de l’écoféminisme ayant apporté des éléments pour la constitution de la pensée écologiste. Ce n’est pas un hasard si le premier parti français à avoir imposé la parité en son sein, ce sont les Verts. Une émancipation de l’individu ne peut se concevoir sans l’émancipation de la femme.
Quelle vision du travail l’écologie politique défend-elle ?
Ce n’est pas le travail qui a libéré la femme. Le monde du travail est encore plus violent contre les femmes qu’envers les hommes. Les différences salariales n’évoluent plus depuis quinze ans, et les femmes sont de loin les plus concernées par le temps partiel contraint. Le chemin est encore long vers l’égalité réelle. Il faut un meilleur partage des temps de la vie et du temps de travail, revendications qui sont au cœur du projet écologiste. C’est en assurant ce meilleur partage qu’on rééquilibrera les rapports entre femmes et hommes (notamment dans les tâches ménagères) et que l’on contiendra la division du travail entre les sexes. Pouvoir harmoniser famille, travail, loisirs permettra à chacun et chacune de mieux s’épanouir dans l’ensemble de ses temps de vie. Il faut une politique ambitieuse de réduction du temps de travail, avec les 32 heures et la semaine de 4 jours.
Existe-t-il un modèle de « femme écolo » et de « mère écolo » ? La maternité est-elle aujourd’hui l’enjeu d’un renouvellement des approches féministes ?
Par essence, la société de consommation n’aime pas ce qui est gratuit. Concernant Élisabeth Badinter, les contrats entre Publicis et Nestlé, en France comme aux États-Unis, qui lui rapportent plusieurs centaines de milliers d’euros, expliquent peut-être son attaque violente contre l’allaitement. Plus généralement, sur la maternité, on peut comprendre une crispation historique des féministes : la femme a trop longtemps été uniquement définie par son statut de mère. La parentalité doit être un choix et non une obligation imposée par le système patriarcal. Si la vision féministe sur la maternité a évolué, c’est que la société a évolué. La femme ne se définit pas comme mère, mais elle a le droit d’être reconnue dans sa maternité. C’est la même chose pour les hommes et la paternité. C’est pourquoi, comme en Norvège, en plus du congé maternité, nous revendiquons un congé parental plus long et partagé par les deux parents.
Que pensez-vous de la gestation pour autrui (GPA), qui divise les féministes ?
La gestation pour autrui fait l’objet d’un débat vif au sein d’Europe Écologie-Les Verts, qui n’a pas encore été tranché. Quelle que soit la position finale, nous devons rester fermes sur la défense de certains principes, comme la non-marchandisation du corps de la femme. Dans certains pays, la GPA ne protège pas assez les mères porteuses. Le « tourisme parental » n’est pas tolérable. D’un autre côté, il faut prendre en compte l’intérêt de l’enfant concernant la question de la reconnaissance de la filiation. Sur cette question, un grand débat public est nécessaire. On ne le résoudra pas en l’esquivant.
Le retour du religieux et, en particulier, la place de l’islam, avec le port du voile et le féminisme musulman, constituent un clivage important. Quelle est votre approche ?
Les révolutions en cours sont un immense espoir pour les femmes du monde arabe. On a vu des femmes en première ligne dans de nombreuses manifestations. Le combat féministe n’est pas simple, et les situations sont très différentes selon les pays. Les démocrates féministes doivent être encouragés par la France et l’Europe. Ici, la manière dont la cause des femmes et la laïcité sont utilisées par ceux-là mêmes qui remettent en cause certains acquis des femmes – l’avortement, l’égalité au travail – entraîne un profond malaise. De plus, un problème n’est pas résolu parce qu’il est exclu de la sphère publique : les femmes qui portent une burqa sont-elles plus libres recluses chez elles ? Une politique d’émancipation ne peut se décréter par la loi. J’aurais aimé que le gouvernement soutienne les associations qui travaillent sur le terrain, en banlieue notamment. Aujourd’hui, la politique de la ville est au point mort, et ce sont, là encore, les femmes qui en sont les premières victimes.