« Le gouvernement est pro-cliniques »

Devant le budget 2011 des hôpitaux, la Fédération hospitalière de France tire le signal d’alarme et dénonce les suppressions de postes induites. Les explications de son délégué général, Gérard Vincent.

Ingrid Merckx  • 24 mars 2011 abonné·es

Politis : La Fédération hospitalière de France (FHF) a publié deux communiqués d’une virulence inhabituelle envers le gouvernement.
Que se passe-t-il ?

Gérard Vincent : En général, la FHF est plus nuancée, mais devant les budgets 2011, on constate que le gouvernement prend clairement le parti des cliniques privées contre l’hôpital. La croissance naturelle des charges est, à personnels et activités constants, de 3,3 %, dans les cliniques comme dans les hôpitaux. Or, pour les ­cliniques, les tarifs vont baisser de 0,05 % contre 1 % dans les hôpitaux. Le gouvernement table sur une augmentation d’activité de 2,4 %, mais même les établissements qui vont réaliser cette progression verront leurs charges augmenter plus rapidement que leur budget. Ils vont donc peut-être gagner 2,4 % mais perdre 1 %. Résultat : 1,4 % de progression à l’hôpital contre 2,4 % dans les ­cli­niques privées. Nous ne sommes pas contre le privé, mais nous nous opposons à une telle différence de traitement en sa faveur. Le président de la FHF, Jean Leonetti, est également membre de l’UMP. S’il proteste, c’est que la coupe est pleine ! Cette attitude pro-cliniques et anti-hôpital découle de cette même idéologie ­dominante qui s’exerce aujourd’hui contre tous les services publics.

Cette logique de rentabilité imposée aux services publics en faveur du secteur privé est en route depuis quinze ans, pourquoi réagir maintenant ?

C’est la première fois qu’on atteint un tel écart ! La France pratique depuis quelques années une politique de convergence tarifaire, c’est-à-dire une sorte de lissage entre les tarifs du ­public et ceux du privé. Ce qu’on conteste de toute façon, parce qu’on n’a pas les mêmes activités : l’hôpital accueille aussi les sans-abri, les précaires, les personnes atteintes de troubles mentaux, etc. Heureusement que l’hôpital existe, sans cela, une partie des gens seraient dans la rue. On ne voit déjà pas pourquoi on traiterait de la même façon les services publics, qui ont des surcoûts liés à ces missions spécifiques, et les cliniques privées, qui font du programmé, choisissent leurs patients, etc. Alors les favoriser au détriment de l’hôpital, il n’en est pas question !

**
Quelles conséquences redouter ?**

L’effort de 700 millions d’euros demandé aux hôpitaux représente près de 15 000 emplois. Jusqu’à présent, on pensait que le secteur hospitalier était protégé des mesures de rigueur dans la Fonction publique, mais on se demande aujourd’hui si l’objectif non affiché n’est pas de réduire indirectement les effectifs. En 2009, il y a eu entre 9 000 et 10 000 suppressions de postes. En 2010, cela a dû s’accélérer, on doit se situer entre 10 000 et 12 000 suppressions de postes. Vous imaginez la situation si 15 000 postes sont supprimés en 2011 ?

Que pensez-vous de la souffrance au travail des personnels hospitaliers ?

Je ne crois pas beaucoup à la fuite des personnels vers le privé. Avec le chômage, les gens préfèrent garder leur emploi. La baisse nette d’emploi en 2009 inclut d’ailleurs ceux qui partent. Par ailleurs, on n’a pas de recensement exact, mais ce n’est pas forcément dans les hôpitaux les plus en difficulté que les personnels semblent le plus en souffrance. Cela dit, il y a une grande différence de niveau de vie entre une infirmière qui vit et travaille en Savoie, et une infirmière qui vit et travaille à Paris, où la vie est plus chère et plus difficile.

Observez-vous une dégradation des conditions de travail ?

Si la campagne budgétaire et tarifaire 2011 n’avait pas de conséquences sur la qualité des soins, ce ne serait pas très grave, cela pourrait signifier que des gains de productivité sont possibles. Pour l’instant, on n’observe pas encore de dégradation notoire, mais pour combien de temps ? Des missions de prévention et d’éducation, mais aussi de permanence des soins et de services d’urgences, ne vont-elles pas passer à la trappe ?

Globalement, les établissements se sont organisés et s’adaptent aux nouvelles exigences en évitant que l’offre ne se dégrade. Preuve, peut-être, qu’il y avait des marges de manœuvre. La FHF ne dit pas qu’il ne faut toucher à rien : les hôpitaux peuvent participer à l’effort de redressement national. Mais ce n’est pas en temps de crise qu’il faut réduire à ce point les services publics. L’hôpital est un des plus gros amortisseurs de crise de la société française, et tout le monde y passe à un moment ou à un autre. Il ne va pas si mal et parvient même à reconquérir des parts de marché. Mais il n’y a pas de raison que les cliniques enrichissent leurs actionnaires cependant qu’il tire le diable par la queue !

Société
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