Le jour où le PS a lâché les pronucléaires
Martine Aubry, en déclarant le 21 mars envisager une sortie du nucléaire, provoque un revirement historique des socialistes sur une question qui pourrait animer la présidentielle de 2012.
dans l’hebdo N° 1146 Acheter ce numéro
« Je crois qu’il faut sortir du nucléaire […]. Il faut y aller, ça va être sur vingt ou trente ans. » La déclaration de Martine Aubry, Première secrétaire du Parti socialiste, sur le plateau de Canal + lundi 21 mars, est passée presque inaperçue dans le flot de l’actualité sur la catastrophe de Fukushima, l’intervention militaire en Libye et la poussée du FN au premier tour des cantonales. C’est pourtant un retournement spectaculaire de la part des socialistes, qui n’ont pas dérogé d’une position globalement pronucléaire depuis plus de trente ans, guère écornée en 1981 par l’abandon de la centrale de Plogoff par François Mitterrand, ou la décision prise en 1997 par Lionel Jospin de fermer le surgénérateur de Creys-Malville.
Pendant les dix jours qui ont suivi le passage du tsunami sur la centrale de Fukushima, les déclarations socialistes avaient surtout brillé par leur mollesse. « Nous ne sommes pas favorables aujourd’hui à un abandon du nucléaire » , déclarait le porte-parole Benoît Hamon, tout en appelant à une réduction des consommations d’énergie et à une croissance des renouvelables conduisant mécaniquement à une diminution de la part de l’atome. Martine Aubry avait tancé la députée Aurélie Filippetti, secrétaire nationale à l’énergie du PS et ex-Verte, qui appelait son parti à « enfin changer de doctrine en matière de risque nucléaire et à sortir d’une vision dépassée » .
Mais l’ampleur de l’événement japonais a fini par remettre les pendules à l’heure : il y a un avant et un après Fukushima, reconnaît-on désormais unanimement au PS. « Les propos de Martine Aubry ont beaucoup surpris , admet Laurence Rossignol, secrétaire nationale à l’environnement du PS. Mais elle n’est pas un électron libre ! Et sa position était implicitement contenue dans la déclaration de notre bureau national du 15 mars dernier… [^2] »
Un petit enjolivement de la réalité : le communiqué en question exige la transparence de la filière, un audit des centrales et une simple « réduction » de la place du nucléaire dans la politique énergétique de la France. Les socialistes semblent donc se plier bon gré mal gré à ce petit coup force d’entre-deux tours des cantonales, qui ne leur déplaît probablement pas au vu du risque électoral suscité par une trop grande tiédeur (voir ci-dessous). À l’occasion d’un sondage commandé il y a deux semaines par Europe Écologie-Les Verts (EELV), 70 % des Français se déclaraient favorables à une sortie du nucléaire.
Il pourrait aussi s’agir, de la part de la Première secrétaire, qui envisage sa candidature à la présidentielle, d’un coup joué à l’attention de son putatif concurrent Dominique Strauss-Kahn, ainsi sommé de se prononcer plus clairement sur l’avenir du nucléaire qu’il ne l’a fait jusqu’à présent. « L’important, c’est que nous avons désormais rompu avec la vision d’une croissance continue de la consommation d’énergie et de sa réponse par l’augmentation de la production nucléaire » , résume Laurence Rossignol. La députée européenne EELV Michèle Rivasi, un temps membre du PS, confirme la déstabilisation de ses « copains socialistes » : « A minima, le “non au tout-nucléaire” me semble aujourd’hui acquis chez eux. » « S’il se confirme, ce changement remarquable enlève une grosse pierre sur le chemin d’une alliance entre nos deux partis pour les échéances de 2012 » , se réjouit le député EELV Yves Cochet.
La question d’un abandon de l’EPR, en cas de victoire de la gauche à la présidentielle, pourrait cependant entretenir de la discorde. Si le réacteur de Penly, encore en projet, semble promis à la trappe, le sort de celui de Flamanville, en cours de construction, n’est pas scellé chez des socialistes tentés de considérer l’apport économique pour la région ainsi que le niveau de sûreté promis par cette nouvelle génération de réacteurs. « Cependant , constate Denis Baupin, adjoint EELV au maire de Paris, la situation politique n’a jamais été aussi ouverte pour mener campagne en faveur d’une loi de sortie programmée et progressive du nucléaire. »
Le projet trouverait l’appui du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon. Mais il aura fort à faire pour le défendre au sein du Front de gauche, dont il souhaite porter les couleurs lors de la présidentielle, alors que son allié du PCF a réaffirmé sa position en faveur du nucléaire, « entièrement public et mieux sécurisé » .
Si l’UMP n’entend pas non plus manger son chapeau sur la question, le MoDem s’interroge. Jusqu’à présent, son président, François Bayrou, s’est contenté d’appeler à une transparence totale de la filière, mais Jean-Luc Bennahmias, vice-président et transfuge des Verts, affirme que sa position, identique à celle de ses anciens camarades politiques, n’est « absolument pas taboue. Nous nous dirigeons en tout cas vers une sérieuse remise en question. En interne, on parle de Fukushima comme d’un “11 Septembre” » .
[^2]: Voir la tribune que Laurence Rossignol a publiée sur le site de Rue89, qu’elle désigne comme « la position actuelle du PS », et qui n’est pas aussi radicale que la déclaration de Martine Aubry : http://www.parti-socialiste.fr, chercher « nucléaire ».