Libye : en attendant Guernica…
Faute d’une intervention internationale rapide, l’insurrection libyenne est condamnée à l’échec et la population au massacre. La chute de Benghazi pourrait alors rappeler un tragique épisode de la guerre d’Espagne.
dans l’hebdo N° 1144 Acheter ce numéro
En une semaine, les forces pro-Kadhafi n’ont cessé de reconquérir le terrain perdu au cours des premiers jours de l’insurrection. Après Ben Jawad et Ras Lanouf, c’est la ville-clé d’Ajdabiya qui s’apprêtait, mardi, à subir les assauts des bombardiers Sukhoï et des chars aux mains des kadhafistes. La chute de cette ville ouvrirait la voie de Benghazi, distante de 160 km, principal fief de l’insurrection. Rien ne semblait pouvoir empêcher cette progression inexorable, tant la disproportion des forces en présence était évidente. Face à une aviation et à des armes lourdes qui pilonnent les positions des insurgés, ceux-ci n’ont que le nombre et le soutien de la population à opposer. Ce qui pose évidemment la question d’une intervention internationale. Si une intervention terrestre est exclue, l’hypothèse d’une « zone d’exclusion aérienne » neutralisant l’aviation de Kadhafi avait notamment été très tôt avancée par la France et la Grande-Bretagne. Quelles que soient les motivations de ces deux pays – question pétrolière, et plus encore, peur d’une immigration massive –, cette intervention est souhaitable et urgente [^2]. Elle est demandée de façon pressante par l’opposition libyenne, et approuvée par la Ligue arabe et par l’Organisation de la Conférence islamique. Pourtant, les ministres des Affaires étrangères du G8, réunis mardi à Paris, n’ont pu que prendre acte de leurs désaccords. La Russie redoute tout précédent d’ingérence au nom des droits de l’homme. L’Allemagne jugeait qu’il restait encore des « questions sans réponse ». Quant aux Etats-Unis, tout en demandant à Kadhafi de partir, ils privilégiaient une aide politique et économique à l’opposition.
Une option peu adéquate alors que le siège de Benghazi est prévisible avant une semaine. Le Parlement européen avait, lui, dès le 10 mars, souhaité l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne « pour empêcher le régime de prendre pour cible la population civile » , non sans souligner « que toute mesure émanant de l’Union [européenne] et de ses États membres devrait être conforme à un mandat des Nations unies et se fonder sur une coordination avec la Ligue arabe et l’Union africaine » . Vœu pieux, à l’heure où nous écrivons.
Les atermoiements internationaux ne sont pas sans rappeler les épisodes les plus tragiques de la guerre d’Espagne. Faute d’unanimité au sein du G8 et de l’Union européenne, le sort de Benghazi pourrait rappeler celui de Guernica bombardé par la légion allemande Condor, un sinistre 26 avril 1937. Le discours de Kadhafi, identifiant toujours les insurgés à des « terroristes », et les massacres commis par ses milices dans les villes reconquises autorisent, mutatis mutandis , cette comparaison historique.
En outre, l’écrasement de la révolution libyenne pourrait encourager des contre-offensives des régimes déchus. Depuis quelques jours, au Caire, des manifestants sont la cible d’attaques de la part de mercenaires de l’ancien régime. Mais les signes les plus inquiétants de retournement de situation viennent de Bahrein, où un millier de soldats saoudiens membres du Conseil de coopération du Golfe sont entrés dans le pays, lundi, pour voler au secours de la monarchie sunnite, cible de la rébellion chiite.
[^2]: Si l’on ne peut qu’approuver l’initiative de Paris dans cette affaire, il faut tout de même s’étonner une fois de plus du mode opératoire. Sans doute soucieux, pour des questions de politique intérieure, de faire oublier la diplomatie catastrophique de MAM, Sarkozy a fait annoncer par l’opposition libyenne elle-même la reconnaissance officielle par Paris du Conseil national de transition. Cela, sous la pression de Bernard-Henri Lévy, et sans qu’Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, en soit averti… Quelle pagaille !