Libye : entre flou stratégique et hésitations politiques, malaise à gauche
Après trois jours de frappes aériennes, l’opération mandatée par l’ONU pour briser la férocité répressive de Kadhafi devrait entrer dans une nouvelle phase. La gauche française est divisée mais soutien globalement une intervention « nécessaire ». Malaise.
Les interventions aériennes sur la Libye se sont poursuivies dans la soirée de lundi à mardi pour la troisième nuit de suite et devrait ### « bientôt baisser d’intensité » d’après le secrétaire à la Défense américain Robert Gates.
Ces frappes, menées par les Occidentaux (Français et Américains en tête) ont été mandatées jeudi 17 mars par le Conseil de sécurité de l’ONU pour « protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaques » . Elles ont permis de juguler la reprise en main violente du régime de Kadhafi après la révolte populaire du mois de février. Mais les insurgés ne regagnent pas de terrain pour le moment, ce qui laisse craindre un conflit long.
En France, la gauche était globalement favorable aux frappes aériennes pour éviter le massacre annoncé du peuple libyen. L’idée d’une intervention armée instille pourtant un réel malaise dans ses rangs.
Légitimité
Le PCF était l’un des seuls partis opposés à l’intervention onusienne en Libye, qu’il jugeait illégitime : « L’argument principal était le soutien de la Ligue arabe à l’opération, mais il s’effrite aujourd’hui. Par ailleurs la résolution 1973 n’a pas été adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, mais pas le Conseil de sécurité avec trois abstentions de taille (Allemagne, Russie et Chine). »
Pour Jean-Luc Mélenchon qui s’est prononcé contre toute offensive terrestre, le mandat de l’ONU donnait un cadre légitime pour une intervention nécessaire, dans le but d’éviter un massacre. Même position, dans la douleur, du côté d’Europe écologie – les Verts (EELV) qui se dit fermement opposé à un commandement des opérations par l’Otan. ### « Vous imaginez bien qu’il y a un énorme débat chez nous, parce que ce n’est jamais de bon cœur qu’on prend position pour une intervention armée », nous confiait mardi Djamina Sonsojno, porte-parole nationale d’EELV.
Géométrie variable
« Nous restons critiques sur le « deux poids deux mesures » de la communauté internationale, qui reste aveugle face aux violences commises par les pouvoirs à Bahreïn et au Yémen » , ajoute Djamina Sonsojno. Les défenseurs de l’intervention onusienne nourrissent peu d’illusions sur la sincérité morale des puissances occidentales. Ils y voient aussi un moyen pour Nicolas Sarkozy de rénover son image après les échecs sur les dossiers arabes et, pour d’autres, l’expression d’intérêts stratégiques à géométrie variable.
« Pour prendre un exemple récent, parmi ceux qui appellent à une zone d’interdiction de survol au-dessus de la Libye, combien auraient défendu la neutralisation des forces aériennes israéliennes en janvier 2009 sur Gaza et en aoûte 2006 sur le Liban ? » , souligne Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières et professeur associé à Science-po interviewé lundi par Libération . « Les grandes puissances veulent saisir l’occasion que leur procure la folie du dictateur pour tenter de reprendre la main dans la région riche en pétrole » , s’avançait même le NPA dans un communiqué.
Quelle pertinence stratégique ?
Le débat devrait aussi se corser si Kadhafi continue de menacer la sécurité du peuple libyen. « Aujourd’hui nous craignons deux choses » , explique Djamina Sonsojno : ### « Un enlisement militaire en Libye et une séparation du pays».
C’est là le fondement de la position des opposants à l’opération (PCF et NPA) : « L’expérience de l’Irak et de l’Afghanistan nous montre malheureusement que sous couvert d’objectifs humanitaires, les interventions armées s’enfoncent dans des bourbiers , estime Patrice Bessac. Les experts militaires disent qu’un bombardement n’est pas efficace sans une intervention terrestre » .
Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunira jeudi pour évoquer la question qui s’impose peu à peu. « Sur le long terme, des sanctions internationales seront sans doute indispensables pour accélérer l’isolement [de Kadhafi] et encourager les défections dans son camps , estime Pascal Boniface [^2], dans l’entretien qu’il a accordé à Politis ( « Cette intervention est une nécessité regrettable » , à lire dans notre prochain n°, jeudi 24 mars, en kiosques et sur Politis.fr).
Il existait d’autres moyens que la force pour lutter contre le régime de Khadafi , ajoute Patrice Bessac pour le PCF. Couper les fonds des dirigeants du régime et engager des poursuites pénales contre eux avec l’action de la Ligue arabe ».
« Il faudrait donner [au peuple libyen] les moyens de se défendre et les armes dont il a besoin pour chasser le dictateur, conquérir la liberté et la démocratie » , estimait le NPA dans son communiqué, quelques heures avant le début de l’intervention.
[^2]: directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Institut d’Etudes européennes de l’Université de Paris 8.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don