Michaël Lainé : «Réarmer le potentiel critique»
Alors que le Salon du livre s’ouvre le 18 mars, Michaël Lainé défend le rôle des éditeurs indépendants et exigeants pour faire vivre le débat d’idées.
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Politis : Une collection unique – « Pour ou contre » – et sept ouvrages publiés en cinq ans, Prométhée ne doit pas rouler sur l’or. Comme faites-vous tenir votre maison d’édition ?
Michaël Lainé : Ma chambre de bonne d’édition, plutôt ! Je suis l’unique personne embarquée dans cette aventure, je tiens à l’énergie, avec ma seule foi pour bagage. Je travaille à côté pour m’en sortir, mais l’édition me prend beaucoup de temps. C’est difficile, d’autant que je ne fais partie d’aucun réseau de connivence ou de courtoisies croisées.
Les petits éditeurs indépendants comme moi affrontent de plus un solide verrouillage médiatique. D’abord, en raison de la préférence donnée à des intellectuels inoffensifs, dont le degré d’innocuité peut se mesurer à la fréquence de leurs passages dans les médias. Puis la place consacrée aux ouvrages s’amenuise. Chaque fois qu’un ouvrage de BHL, de Minc ou d’Attali est chroniqué, on peut dire que c’est un petit éditeur qu’on assassine !
La vitalité de l’édition est trompeuse si on ne la juge qu’aux milliers de livres publiés chaque année. Non seulement chaque nouveauté chasse très vite la précédente, mais les grandes chaînes de distribution – Fnac, Cultura, etc. – se sont organisées pour gérer ce flux en s’interdisant de recevoir les petits éditeurs. Heureusement, certains franchisés transgressent ces consignes. Et puis il reste le réseau des librairies indépendantes.
Votre collection « Pour ou contre » met en scène des débats d’idées. Cela semble à la fois très contemporain et dépassé…
L’essai a connu un âge d’or dans les années 1970. Mais aujourd’hui la pensée critique est moribonde, et je souhaite contribuer à la ranimer. Certes, « débattre » est un des maîtres mots de la société médiatique. Mais il s’agit le plus souvent de trompe-l’œil. On assiste en général à des mises en scène verrouillées, privilégiant le spectaculaire et l’exacerbation de différences artificielles. Notre époque a véritablement standardisé la pensée, dépolitisant les esprits.
Les flux d’information s’empilent, des cortèges de souffrance apparaissent sans justification et disparaissent sans explications, nous laissant amnésiques face à un monde de bruit et de fureur. Le premier devoir des médias modernes, c’est d’entretenir une excitabilité permanente chez le consommateur, qui le rend plus manipulable.
Qu’entendez-vous démontrer à votre public ?
Que la lenteur de la lecture, la méditation solitaire qu’elle déclenche, le corps à corps avec un texte ont la capacité de réarmer le potentiel critique de chacun.
Je veux aussi prouver que la vérité ne se situe pas « au centre ». L’époque entretient le fantasme de savants hors la cité, qui ne s’engageraient surtout pas. Quand un expert est convoqué dans les médias, il subit une injonction permanente de neutralité : il ne faut surtout pas qu’il s’engage, sinon il est taxé d’idéologie.
Ce système favorise un apolitisme conservateur. On s’en réfère souvent à la pensée du sociologue allemand Max Weber, mais de manière biaisée : il ne défend pas la neutralité des scientifiques mais la non-imposition de leurs valeurs dans la recherche de la vérité. Dans la collection « Pour ou contre », la vérité ne se trouve pas au centre : il y a très souvent un « vainqueur »…
Mais ne déterminez-vous pas implicitement ce dernier
en choisissant le sujet
de la controverse que vous voulez instruire ?
Je suis un éditeur engagé, mais les questions qu’abordent mes livres sont celles que se pose le public. Par ailleurs, si elles sont instruites par deux auteurs aux opinions divergentes, ils se mettent d’accord sur la formulation du titre.
Le format du duel d’experts n’est pas très nouveau…
C’est la méthode qui l’est. Le débat, ce n’est pas un pugilat ! Au lieu d’accoler deux textes irréconciliables dans un même ouvrage, il s’agit de faire dialoguer les auteurs. Dans un premier temps, ils rédigent chacun de leur côté. Ensuite, ils échangent leurs manuscrits avec pour consigne de réfuter point par point les arguments de leur contradicteur. Puis ils répondent aux objections qui leur sont faites. Pour ma part, je les aiguillonne afin qu’aucun développement ne soit laissé en jachère – et ça fonctionne très bien. Enfin, les deux auteurs livrent, à côté de leur texte, leur propre synthèse de ce débat, qui doit notamment faire apparaître les points de convergence entre leurs thèses. Un processus qui dure environ dix mois.
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Le débat serait-il une exclusivité mâle ? Tous vos auteurs sont des hommes à ce jour…**
Je le constate et le regrette. Dans la société, les figures intellectuelles dominantes sont avant tout masculines. Je tente de rééquilibrer cette répartition, mais ce n’est pas facile.
Michaël Lainé
Fondateur de la maison d’édition Prométhée1.
Dernières parutions : Où va le système de santé français ?, André Grimaldi, Claude Le Pen ; Peut-on sauver la planète sans toucher à notre mode de vie ?, Benjamin Dessus, Sylvain David ;
Doit-on contrôler l’immigration ?, Gérard-François Dumont, Hervé Le Bras.