Portrait-robot. Mon père / Portrait-robot. Ma mère : des parents exemplaires

Réunis dans un même volume, Portrait-robot. Mon père et Portrait-robot. Ma mère , de Christoph Meckel, offrent une certaine image de l’Allemagne du XXe siècle.

Christophe Kantcheff  • 24 mars 2011 abonné·es
Portrait-robot. Mon père / Portrait-robot. Ma mère : des parents exemplaires
© **Portrait-robot. Mon père** et **Portrait-robot. Ma mère** , Christoph Meckel, traduit de l’allemand par Florence Tenenbaum-Eouzan et Béatrice Gonzalés-Vangell, Quidam, 136 p. et 106 p., 20 euros.

Dans son enfance, Christoph Meckel a connu quelques moments de quiétude
– dans l’intimité de la bonne de la famille, Lucie – et reçu de l’amour, de la part de son père, pendant les quatre premières années de sa vie, celui-ci se transformant ensuite en fanatique du châtiment corporel. Pour les moments de bonheur, c’est tout. Plus tard, dans sa jeunesse, il est allé chercher ailleurs ce qui lui a toujours manqué. On imagine donc a priori que ses livres, ayant pour sujets son père, Portrait-robot . Mon père , et sa mère, Portrait-robot . Ma Mère , réunis ici en diptyque selon le souhait de Christoph Meckel, ont des allures de règlements de compte. Et, en effet, ces deux textes ne sont pas ­tendres. Mais la vengeance n’est pas ce qui a motivé l’auteur. Il y a, à l’origine, une découverte, celle des carnets tenus par Eberhard Meckel (1907-1969), lui-même écrivain, pendant la Seconde Guerre mondiale, qui ont révélé à son fils un homme qu’il ne connaissait pas.

Par l’écriture, Christoph Meckel a voulu restituer son père, le mettre au jour. Tout en ayant conscience qu’il ne s’agit pas de « tout dire » , comme certains auteurs le prétendent naïvement ou cyniquement. « De [la] personne [de mon père], je n’ai rien inventé, écrit-il, mais choisi et condensé (impossible de représenter sans jauger). J’ai fait des phrases, donc : inventé une langue. Inventer révèle et dissimule l’homme. » Ce pourrait être une définition lumineuse de la littérature.

Le portrait que dresse Christoph Meckel est d’abord celui d’une génération de jeunes écrivains qui, dans les années 1930, à Berlin, publient leurs premiers recueils de poèmes avec cette même caractéristique : l’indifférence à l’époque. Ils ont pour nom Eich, Huchel, Lange et Meckel, et tous élaborent une poésie atemporelle, chantant l’Allemagne éternelle et la nature (ils sont issus chacun de terres provinciales – Meckel étant viscéralement attaché à la Forêt-Noire, et plus particulièrement à Fribourg). Goethe et Stifter sont leurs références ultimes, à l’exclusion de toute autre, en particulier des courants de pensée ou mouvements artistiques bousculant l’Allemagne et l’Europe depuis le début du siècle.

Problème : sur quelle attitude ­­dé­bouchent cet apolitisme et ces horizons bornés sous le Troisième Reich ? À des accommodements, sinon à un ­ralliement. S’il n’a pas adhéré au Parti national-socialiste, non en raison de l’idéologie, mais parce que le style des nazis lui déplaisait, le père de Christoph Meckel a côtoyé les écrivains du Troisième Reich, a continué à publier sans problème ; bref, il a joué le jeu. Puis, la guerre étant déclarée, il a été affecté en Pologne, où, écrit son fils en une formule terrible, il « consignait […] les couleurs du ciel d’été au-dessus du ghetto » . Enfin, promu officier, « l’esthète, soucieux de la noblesse de la langue, tomba de plus en plus souvent dans le jargon abject des potentats » . Il s’enfonça dans le nationalisme. En lui, la position de pouvoir fit fructifier le zèle.

Voilà ce qu’a découvert Christoph Meckel dans les notes de son père, qu’il donne à lire dans un continuum biographique, mais qu’il resitue aussi dans le contexte social et le déséquilibre psychologique de cet homme en proie, au long de sa vie, à une quête effrénée de réconfort, après avoir été brisé, dans ses jeunes années, par son propre père. On touche ainsi la singularité d’Eberhard Meckel, tout en saisissant en quoi il est emblématique du malaise allemand d’après-guerre : si une certaine faute collective est concédée, personne, en revanche, ne se reconnaît une responsabilité individuelle.

De retour parmi les siens après la défaite et une blessure sérieuse à la tête, puis de longues années en rétention dans un camp en Algérie, d’où il ne fut libéré qu’en 1947, le père de l’auteur s’estime lui aussi irréprochable. Nerveux, fragile, il n’est plus qu’un « despote détrôné » , décrépi, qui subit le fait que son fils s’est mis à écrire à son tour. Devenu pathétique, il se réduit « toujours plus au silence, à l’étroitesse, aux limites » . Et meurt à 62 ans.

Christoph Meckel a publié le livre sur sa mère vingt ans après celui qui porte sur son père. Parce que celle-ci y figurait très peu et que plusieurs lecteurs ont pu croire à tort qu’elle était le « pendant » du père, « aimée, protégée, bonne » . Elle apparaît dans Portrait-robot. Ma mère pire encore que son mari. Sans aucune capacité d’amour, orgueilleuse, insouciante. Il y a alors du Thomas Bernhard sous la plume de Christoph Meckel, comme il y a du Fassbinder dans Portrait-robot. Mon père. C’est dire la force de ces deux livres.

Culture
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