À contre-courant / Vive la hausse des prix !
dans l’hebdo N° 1149 Acheter ce numéro
La Banque centrale européenne (BCE) a relevé le 7 avril son taux d’intérêt directeur de 1 à 1,25 %. Le taux n’avait pas bougé depuis mai 2009, en pleine crise financière. Pour justifier sa décision, la BCE argue que le monde bruisse de tensions inflationnistes et que la zone euro a connu en mars une hausse des prix de 2,6 % en rythme annuel. Il convient donc de casser cet engrenage, surtout celui qui proviendrait des salaires, la bête noire de Jean-Claude Trichet. Cette obsession qui confine à l’acharnement – ne jamais augmenter les salaires quelle que soit la richesse produite par les salariés – entre en parfaite cohérence avec les plans d’austérité qui sont imposés dans toute l’Union européenne (UE), d’abord en Grèce, en Irlande, en Hongrie, maintenant au Portugal, et, sous des formes à peine atténuées, en Espagne et en France avec le délabrement des services publics, la privatisation de la protection sociale et le relèvement de l’âge de la retraite. Tour à tour, les pays sont contraints de passer sous les fourches caudines du FMI et de l’UE. Et la décision de la BCE ne pourra que renforcer l’hétérogénéité des pays membres de la zone euro et de l’UE.
D’où viennent les tensions inflationnistes ? Sûrement pas des hausses de salaires car ceux-ci sont bridés depuis plusieurs décennies par un chômage incurable et par la pression des actionnaires (l’un étant lié à l’autre). La hausse des prix des matières premières – énergie, agriculture, métaux – est une tendance lourde que même la crise économique ne réussit pas à enrayer. De plus, comme ces marchés mondiaux sont hautement spéculatifs, on a tous les ingrédients d’un processus ne touchant pour l’instant le consommateur que par l’alimentation et l’énergie mais qui pourrait s’étendre. D’où, pour compenser, l’acharnement à réduire le « coût salarial » afin de restaurer la « compétitivité ».
On voit par là que la crise de suraccumulation qui a éclaté au grand jour en 2007 (et non pas en 2008, comme on le dit partout maintenant) est une crise du capitalisme d’un genre nouveau : pour la première fois de son histoire, le capitalisme rencontre une limite indépassable, celle des ressources naturelles, qui ruine le mythe de l’accumulation infinie. Rien n’y fera : les prix des matières premières épuisables augmenteront. Et c’est tant mieux, sinon le gaspillage continuerait de plus belle. Mais la hausse des prix, bien que nécessaire, ne sera pas suffisante pour ramener à la raison un système déraisonnable.
En effet, sont en cause le modèle de production et de consommation, et aussi la répartition des revenus. Comme l’ont montré la plupart des analyses économiques hétérodoxes (notamment Marx, Luxemburg, Keynes, Kalecki), une répartition des revenus plus ou moins égale influe sur le volume de l’activité économique et sur son orientation : par exemple, un accroissement des inégalités conduit à produire des biens pour une clientèle de luxe et non pour répondre à des besoins sociaux.
Il est donc économiquement inefficace et écologiquement dangereux de vouloir empêcher les prix des ressources de monter au fur et à mesure de leur raréfaction. Ce qu’il faut, c’est d’une part extirper tous les mécanismes spéculatifs en régulant politiquement au niveau mondial les marchés et en déprivatisant la production des matières premières, et d’autre part changer les politiques d’urbanisme, du foncier, du logement et des transports, et réduire fortement la pauvreté monétaire. Tous les ménages doivent payer le vrai prix de l’énergie, mais aucun ne doit être exclu en raison d’un revenu dont la petitesse n’est due qu’à l’insolence de celui des maîtres du monde. Jusqu’ici, une fiscalité écologique n’a pu être mise en place réellement parce que la classe dominante a refusé de l’accompagner d’une répartition plus juste en diminuant les profits. Face à la crise, l’enjeu est d’assurer le bien-être social et la construction collective des biens communs de l’humanité [^2] avec une économie plus sobre. Vive la hausse des prix des ressources naturelles si on remet en cause le capitalisme.
[^2]: Jean-Marie Harribey, « Le bien commun est une construction sociale ».