Appel pour une insurrection civique et démocratique
Politis publie un appel qui dénonce le « concours de beauté » de la présidentielle qui dépolitise la société et demande un débat sur le contenu des politiques.
dans l’hebdo N° 1150 Acheter ce numéro
Nous appelons à une insurrection civique, pacifique et démocratique, contre le refus de l’étranger qu’expriment le Front national ou ses alliés de rencontre. Elle ne réussira pas si les quartiers populaires ne se sentent pas représentés par des politiques qui depuis si longtemps les abandonnent. Elle ne réussira pas, non plus, si chacun d’entre nous ne se bouge pas. Nous appelons à l’invention d’un dispositif démocratique qui ferait progresser la démocratie citoyenne, l’implication directe des citoyens dans l’activité politique, et qui éloignerait le spectre d’un nouveau 21 avril.
Car s’installe, relookée Marine mais immuable dans ses appels à la haine, un vote FN massif et toutes les conditions pour qu’il demeure. S’installe une abstention structurelle. Avant même les dernières cantonales, aux européennes de 2009 et aux régionales de 2010, près de 65% des employés et 69% des ouvriers ne sont pas allés voter. Plus de 70% des inscrits s’abstiennent dans les villes ouvrières (Stains, Bobigny, Tourcoing, Roubaix, tant d’autres). La progression de l’abstention est un mouvement long à l’oeuvre depuis 20 ans. Si bien qu’en certaines villes populaires, si l’on cumule non-inscriptions sur les listes électorales et abstentions, seuls 10% du corps électoral vote encore. Insensiblement, des mécanismes censitaires s’installent sans inquiéter vraiment certains professionnels de la politique dont l’horizon reste d’être élus ou réélus.
La situation a tout d’extraordinaire. Le microcosme politique suit son cours ordinaire, réduit souvent, hélas, au choc des ambitions personnelles, des carrières, des concurrences stériles, déjà vues. Ce n’est pas à la hauteur de la situation. Nous refusons le désastre démocratique qui s’annonce, la catastrophe qui vient.
Par le passé, aujourd’hui encore, nos histoires, nos engagements diffèrent. Certains d’entre nous ont voté et voteront socialistes, d’autres écologistes, communistes ou NPA. Certains votèrent « oui » au TCE, d’autres « non ». Certains viennent de la « deuxième gauche », d’autres s’y opposèrent. Et alors? Certains viennent de la résistance à la barbarie nazie, certains firent Mai 68, d’autres n’étaient pas nés. Nos différences nous enrichissent. Le passé doit être dépassé. Il faut répondre « présents » aux défis du présent. Par l’engagement.
Tant que ne seront pas traitées les causes sociales du vote FN, il augmentera. Et depuis trop longtemps, rien n’a changé : chômage de longue durée, relégation liée à la perte d’emploi, réclusion en HLM délabrées, compression des revenus, échec scolaire des enfants…
Le bulletin FN exprime souvent la hantise d’être précipité (à nouveau !) dans le monde auquel on entendait échapper, une manière de conjurer le déclassement collectif vécu dans l’isolement – en s’écartant symboliquement des plus proches objectivement, les immigrés de dernière génération. L’impossibilité d’échapper à une condition plus dégradée qu’hier avive la guerre des pauvres contre de plus pauvres qu’eux, qui alimente le vote Le Pen. Et puis, massivement, s’enracine le sentiment (mélange d’espoirs déçus, d’amertume à fleur de peau, de résignation et de colère) qu’aller voter ne sert pas, n’apporte rien. Comment en irait-il autrement ? Quand les alternances s’enchaînent et que les milieux populaires n’y gagnent rien. Pour beaucoup, alors, disons-le crûment, comme parlent ces électeurs, voter FN c’est dire « j’emmerde ce système qui m’emmerde ! ».
À terme, mais vite, seule une politique qui redonne espoir aux milieux populaires changera ces votes. Une politique de plein emploi, d’emplois utiles socialement, écologiquement, d’emplois payés davantage, d’encadrement strict et de réduction des CDD et de l’intérim. Une politique qui retisse des liens grâce à des services publics rénovés, redynamisés : des écoles et des enseignants en nombre pour réenclencher la mobilité sociale, un service public de la petite enfance sur tout le territoire, des hôpitaux publics rétablis dans leurs moyens d’agir…Une politique qui étende la protection sociale : un remboursement complet des soins, une prise en charge collective de la dépendance une fois l’âge venu, une hausse des minimas sociaux et des allocations chômage…Une politique qui désenclave les quartiers : des transports publics gratuits, une allocation d’autonomie pour les jeunes, un vaste plan public de réhabilitation des logements, l’arrêt des hausses de loyers… Il y a tant à faire, qui fut laissé à l’abandon depuis longtemps. Mais rien ne se fera sans cette solidarité nationale minimale qui consisterait, disons-le, à redéplacer vers les salaires et les services publics les parts de la richesse produite par tous, qui furent sur la période détournées vers les profits et le privé. Rien ne se fera si, à l’insécurité économique et sociale d’où découlent toutes les peurs et toutes les insécurités, nous n’optons pas pour la Sécurité sociale et la sécurité économique.
Ce sont bien sûr les forces de transformation écologiques, sociales, politiques qui doivent mettre en œuvre cette nouvelle politique dès 2012. Elles doivent, dès lors, être capables de construire des alliances ponctuelles sur des causes, qui permettent enfin au « peuple de gauche » de se reconnaître et de faire entendre sa voix. Il ne s’agit pas de gommer les différences voire les vraies divergences. Il s’agit de les traiter afin qu’elles ne deviennent pas destructrices. Nous suggérons une procédure qui permettrait à la gauche d’éviter tout risque de ne pas figurer au second tour des élections de 2012. Elle encouragerait une forme participative de délibération sur les programmes à mettre en œuvre. Il s’agirait d’organiser après le choix spécifique de leurs candidats et programmes par les différentes familles de gauche (socialiste, écologiste, communiste, alternatives…) une série de débats communs destinés à mieux cerner les objets d’accord et de désaccords. Puis d’offrir lors de « primaires communes » sur le contenu, en décembre, à tout le peuple de gauche de hiérarchiser les propositions qui constitueraient la feuille de route du quinquennat et vaudrait programme d’action. Sur cette base, il faudrait ensuite et en commun, par une convention citoyenne, définir une procédure démocratique permettant de s’accorder sur un ou une candidat-e pour le porter. Ce serait, là, réagencer enfin l’action politique : d’abord le programme puis le ou la candidat-e qui en découle ; d’abord le choix citoyen sur les axes de transformation.
Mais surtout, ne déléguons plus aux politiques ce qui dépend de nous. Il y a ce que nous pouvons faire, chacun. Sans attendre. Tout de suite. À notre niveau. Pour faire reculer cette peur des autres et l’isolement de chacun, dont se nourrit le FN. Nous y appelons, nous participerons à l’organiser, nous viendrons partout, jusqu’en mai 2012 ; au-delà, s’il le faut. La peur vient de la méconnaissance des autres, de l’éloignement. Alors, nous allons dans les Cités, les centres-villes, les campagnes, monter chaque semaine des Apéros facebook « pour vivre ensemble », des « repas du monde » « pour vivre ensemble », des banquets républicains « pour vivre ensemble », des fêtes de voisins « pour vivre ensemble ». Y associer des artistes, des spectacles, pourquoi pas ? Chacun peut y contribuer. Chacun peut les organiser. Et emmener les gobelets, les tartes, les couscous, les nems, les apéricubes…
Quand nous sommes, ensemble, réunis ainsi, dans le partage d’un barbecue, d’un verre, dans le partage de nos soucis aussi, de nos envies, de nos vies simplement, si vite disparaissent les peurs ; si vite, côte-à-côte, coudes à coudes, nous nous sentons semblables des autres ; si vite nous aimons « vivre ensemble » ; si vite, ensuite, nous nous entraidons. Nous appelons à cette insurrection civique. Elle a pour nom : « Nous voulons vivre ensemble ». Il s’agit banalement, ensemble, de « prendre un pot ». Mais chacun de ces pots sera pour le FN, un pot de retraite, un pot de départ.
- Modification le 04/05/11:
Le texte de l’appel initialement publié a été remplacé par la version longue.
Céline Braillon (urbaniste)
Gérard Filoche (Inspecteur du travail)
Susan George (altermondialiste)
Jean-Marie-Harribey (économiste)
Stéphane Hessel (ambassadeur de France)
Pierre Khalfa (syndicaliste)
Safia Lebdi (présidente des Insoumises)
Gus Masiah (altermondialiste)
Caroline Mécary (avocate)
Mireille Mendes-France (juriste)
Willy Pelletier (sociologue)
Patrick Viveret (philosophe)
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