Côte d’Ivoire : victoire à la Pyrrhus
Après quatre mois de combats et des milliers de morts, le piège tendu par l’ex-président Laurent Gbagbo s’est refermé sur une France plus interventionniste que jamais.
dans l’hebdo N° 1148 Acheter ce numéro
Parce que la France est l’ancienne puissance coloniale, et parce qu’elle a la réputation (justifiée) depuis les indépendances de vouloir faire et défaire les gouvernements de son ancien empire, elle avait en Côte d’Ivoire une évidente obligation de réserve. En fin stratège, Laurent Gbagbo n’a cessé, depuis le mois de décembre, de la piéger en l’impliquant dans le conflit qui l’opposait à son grand rival du Nord, Alassane Ouattara, les deux hommes revendiquant la victoire à l’élection présidentielle du 28 novembre. Le moins que l’on puisse dire est que Nicolas Sarkozy est tombé dans le piège. Il suffit de voir avec quelle énergie, lundi soir, la diplomatie française a tenté de faire croire que les militaires français n’étaient pour rien dans l’arrestation de l’ex-président pour mesurer l’embarras de Paris. En réalité, la situation était délicate. Les intérêts français sont tels (Bolloré, Total, Bouygues, France Télécom, etc.), sans oublier les 12 000 ressortissants français, que la France voulait le retour à la stabilité le plus rapidement possible. En contestant la victoire d’Alassane Ouattara et en refusant de quitter le palais présidentiel, Laurent Gbagbo a ouvert une véritable guerre de position entre deux pays virtuels. Une guerre qui a fait près d’un millier de morts, avec les massacres de Douéké, dans l’Ouest, et qui a plongé le pays en état de coma économique, déplacé des dizaines de milliers de personnes et créé une situation alimentaire et sanitaire dramatique dans Abidjan.
Laurent Gbagbo, qui connaît les insuffisances de forces de l’Onuci, savait qu’en prolongeant sa résistance et son refus de négocier il finirait par entraîner dans les combats les forces françaises de l’opération Licorne. Tout en galvanisant une partie des Ivoiriens, y compris ceux d’Abidjan, qui lui sont majoritairement favorables, contre « le retour du colonisateur ». Dans cette perspective, il a fait revenir de la région de Yamoussoukro des mercenaires et des éléments de la garde présidentielle qui lui sont restés fidèles, en dépit du ralliement à son concurrent de nombreux officiers supérieurs de l’armée. Ce sont ces « soldats de fortune », comme on les appelait autrefois en Afrique, qui ont organisé et mené la résistance dans le quartier résidentiel de Cocody. Ils sont arrivés et ont été approvisionnés en armes nouvelles, de nuit, par la lagune Ébrié.
Couverts par la demande du secrétaire général des Nations unies, les Français ont donc, au moins à trois reprises, dimanche et lundi, bombardé et attaqué le palais présidentiel et la résidence de Laurent Gbagbo. Le piège organisé par l’ex-président a parfaitement fonctionné. Les forces françaises sont intervenues crescendo, d’abord pour exfiltrer les ressortissants français et étrangers du quartier résidentiel, puis pour tenter de mettre fin à une situation de chaos quitte à retourner contre elles une partie des Ivoiriens. Dans le même temps, des éléments de la force Licorne et ses forces spéciales du COS (commandement des opérations spéciales) ont plus discrètement repris le contrôle du port, géré par Bolloré Africa Logistic, pour tenter de relancer l’activité économique, cela à deux mois de la récolte du cacao, dont la Côte d’Ivoire est la plus gros producteur mondial.
En arrêtant Gbagbo, la France de Sarkozy est provisoirement arrivée à ses fins. Mais elle y est parvenue au prix d’un engagement total en faveur d’Alassane Ouattara, et d’une ingérence qui a réveillé parmi les Ivoiriens l’hostilité à l’encontre du colonisateur. Or, si Gbagbo est provisoirement au moins écarté de la scène politique, ses partisans constituent toujours une force importante, surtout dans la capitale économique, Abidjan.