De Guy Mollet à Lionel Jospin : les grands écarts
Le PS d’Épinay a succombé comme la SFIO d’antan aux délices
du « molletisme » : la compromission plutôt que la rupture.
dans l’hebdo N° 1147 Acheter ce numéro
Un homme demeure le symbole des reniements et trahisons de la gauche. À la tête de la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière), Guy Mollet a fait preuve d’une longévité politique exceptionnelle. Mais à quel prix ? Le « molletisme » désigne toujours une attitude politique qui consiste à avoir un discours politique très « à gauche » et une pratique gouvernementale faite de compromis idéologiques et politiques avec l’adversaire.
En 1946, Guy Mollet devient secrétaire général de la SFIO au nom du respect de la doctrine marxiste et de l’idée de rupture révolutionnaire par la lutte des classes. Il restera à ce poste jusqu’en 1969, multipliant les volte-face : abandon de l’union avec le Parti communiste au profit du rassemblement des « républicains d’obédience française », soutien à la répression des grèves dites insurrectionnelles de novembre 1947, et surtout celles des mineurs d’octobre 1948… Mais le plus grand renoncement est lié à la guerre d’Algérie. Porté en 1956 au gouvernement pour faire la paix, il cède très vite à la pression des pieds-noirs et fait appel au contingent, contribuant à une intensification des hostilités. Rallié au général de Gaulle en 1958, il lui vote les pleins pouvoirs et, ministre d’État, participe à la rédaction de la constitution de la Ve République, dont il jugera, un peu tard, qu’elle restreint les droits du Parlement et les libertés publiques.
La critique du « molletisme », sur laquelle s’est construit le PS, n’a pas vacciné ce dernier contre sa répétition. En 1971, au congrès d’Épinay, François Mitterrand assurait que « celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi » et « la société capitaliste » « ne peut pas être adhérent du Parti socialiste » . Parvenu au pouvoir, il n’a pas rompu avec l’ordre politique des institutions de la Ve République. Pendant ses mandats, l’exécutif contribue allègrement, après le virage libéral de 1983, à la financiarisation de l’économie en prenant une cascade de mesures de déréglementation. Citons la grande dérégulation des marchés financiers et boursiers en France mise en œuvre, en 1985, par Pierre Bérégovoy, ministre des Finances, qui a fusionné dans un grand marché unique des capitaux les marchés financiers et le marché monétaire. Ou, en 1989, la libération zélée des mouvements de capitaux qui, jointe à une fiscalité très faible, a installé la mécanique de l’argent fou. Sur cette lancée, Lionel Jospin, à Matignon en 1997, n’a pas tenu sa promesse de ne pas ouvrir le capital d’une entreprise publique et a finalisé la privatisation partielle de France Télécom. Il a aussi cédé plus d’actifs publics que chacun des trois gouvernements de droite qui l’ont précédé, contribuant à restreindre toute marge de manœuvre pour de véritables politiques de développement économique et social. À ces mesures, s’ajoute une course au « moins-disant » fiscal qui a conduit la gauche à baisser le taux marginal de l’impôt sur le revenu au cours de la période 1997-2002. Dominique Strauss-Kahn proposait, début 1999, une très forte défiscalisation des stock-options, projet concrétisé et amendé quelques mois plus tard par Laurent Fabius. Le PS a-t-il mesuré combien ces folies ont fait le lit de la crise financière de 2008, dont nous payons les conséquences ? On voudrait le croire.