Éric, sois mauvais !
dans l’hebdo N° 1149 Acheter ce numéro
Avant – je te parle de ça, c’était il y a très longtemps, d’accord ? T’étais pas né(e), je veux dire, alors c’est pas la peine de chercher dans les photos de quand t’étais petit(e).
Avant, disais-je, la vie était simple, mais sacrément rustique, dans ce qui est aujourd’hui l’Indre-et-Loire.
T’avais la tribu des Oulhamrs, puis, un peu plus loin, sur l’autre pentu flanc de la colline, la tribu des Pas-Oulhamrs, et crois-moi que si un Pas-Oulhamr se mettait en tête de venir chasser le bison du mauvais côté de la route, le mec passait un très mauvais quart d’heure, c’était du style il se prenait force coups de gourdin sur l’occiput, assortis de cette explicite mise en garde : « Grrrroumpf, grouuuumpf, groumpf. » (Traduction : « Rentre chez toi, sale communiste, si tu ne veux pas que j’appelle Claude Guéant. » )
Bon, juste après, l’humanité a commencé à évoluer,
et je ne dis pas non plus que ça s’est fait en deux heures et demie, ç’a pris un certain temps, et y a même eu de sévères rechutes – mais après quelques millions d’années, tout de même, tout le monde, ou presque, est tombé d’accord pour considérer que ça servait à rien de se mettre des coups de gourdin dans la gueule en poussant des cris racistes, et que, Oulhamrs ou pas, nous sommes tous des enfants d’immigré(e)s, comme dans une chanson des Bérus, oui, ou non ?
Et il restait bien, dans les cinquièmes sous-sols de la société, quelques trépanés pour grommeler que tous ces Pas-Oulhamrs, c’était trop, remettons-les dans des bateaux – mais ces grossiers cons se voyaient peu, ils ne sortaient que la nuit, et restaient le jour dans leurs insalubres caves, à construire des modèles réduits de Junkers Ju 87.
Les historien(ne)s font remonter au tout début du XXIe siècle le début de l’ère connue sous le nom de connardolithique, où les quarante millénaires de civilisation qui nous contemplaient depuis l’haut du Rocher de Gibraltar furent en pas deux ans réduits à rien sous l’effet des grognements journaliers d’un très petit mec à très grandes oreilles : d’après les datations au carbone 14, c’est le 15 février 2009 que la merde a commencé à couler dans l’hélice, quand un certain Christopher Baldelli, patron d’RTL, a jugé qu’il y avait (aussi) de la grosse thune à se faire dans la flatterie des plus dégueulasses instincts de l’auditorat.
C’est là qu’il a embauché un certain Éric Z., en le priant d’être sale, surtout – Éric, je t’en prie, sois mauvais.
La suite est connue : l’haineux pitre s’est juché sur la colline et s’est mis à gueuler qu’on n’aurait pas sa liberté de penser – et gade, Raymond, y en a encore un qui se planque dans le buisson, juste derrière toi, vazy, Raymond, remets-le dans l’bateau, c’t’enculé –, et il a ensuite fallu des siècles pour effacer le souvenir de ses affreux hurlements.
Depuis, on se méfie, et on a raison : quand RTL nous suggère d’écouter voir comme ça sent bon, on éteint le poste et on se lave les ouïes – simple mesure d’hygiène publique.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.