Faire cesser l’inacceptable

Olivier Le Cour Grandmaison lance un appel à une riposte nationale contre le racisme et la politique d’immigration, et pour la régularisation
des sans-papiers.

Olivier Le Cour Grandmaison  • 21 avril 2011 abonné·es
Faire cesser l’inacceptable
© Olivier Le Cour Grand- maison Historien, spécialiste des questions de citoyenneté. Photo : AFP / SAGET

« La France se replie sur elle-même. Elle a peur pour son standing, sa tranquillité et même la couleur de sa peau. […] À y regarder de plus près, il y a dans ce pays deux politiques de l’immigration : l’une d’intégration […] pour les bons, c’est-à-dire pour ceux qui ont le type européen ; l’autre de ségrégation et de rejet, dans la plus pure tradition du racisme colonial, pour les mauvais, c’est-à-dire pour ceux qui viennent principalement du continent africain. » Qui est l’auteur de ces lignes d’une sinistre actualité ? Félix Guattari, en 1981, dans un appel intitulé : « Non à la France de l’Apartheid ». Le même dénonçait les conséquences désastreuses de ces orientations : les expulsions, qui s’élevaient à cinq mille en 1980.

Cette citation est exemplaire ; elle témoigne de l’ancienneté des politiques anti-immigrés, tout d’abord, et de leur remarquable mais spectaculaire radicalisation ensuite. En trente ans, l’arsenal juridique mobilisé contre cette catégorie particulière d’étrangers a été constamment renforcé, et le nombre des expulsions multiplié par six pour atteindre près de 30 000 chaque année depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Terrible involution. Elle prospère sur un phénomène d’extension-banalisation dont les ressorts principaux sont les suivants : plus les discours, le droit, les pratiques administratives et policières xénophobes et racistes se durcissent en devenant la norme, plus le recours à des dispositifs d’exception semble légitime, ce qui permet à chaque gouvernement de persévérer dans cette voie sans opposition. C’est ainsi que l’inacceptable, sur le plan politique et humain, progresse, car il cesse, pour beaucoup, d’être perçu comme tel, paré d’un réalisme de bon aloi par ceux qui se présentent comme des responsables soucieux des « difficultés » des Français.

Les déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur confirment ce processus et ses effets délétères. Traquer les étrangers en situation irrégulière ne suffit plus ; désormais, Claude Guéant s’attaque à l’immigration légale, au regroupement familial et aux demandeurs d’asile en manipulant les chiffres pour faire croire, notamment, à une brusque augmentation des réfugiés présents en France. Le mensonge d’État, la caricature racoleuse et les propos hyperboliques sont désormais érigés en méthode de gouvernement par des ministres et des responsables politiques qui se comportent comme de vulgaires bateleurs et affichent un mépris souverain pour la vérité et les données statistiques pourtant établies par des institutions reconnues. Triomphe de la démagogie et de son corollaire institutionnel : la propagande, rebaptisée « communication gouvernementale » par des conseillers chargés de produire discours et autres « éléments de langage ».

En ces matières, le ministre de l’Intérieur est un récidiviste notoire qui occulte à dessein des rapports officiels pour mieux défendre ses orientations xénophobes et islamophobes. À preuve, ses déclarations relatives au nombre de musulmans, estimé, selon lui, entre 5 et 10 millions, alors qu’une enquête de l’Insee et de l’Ined démontre qu’ils ne sont que 2,1 millions (les Échos du 16 mars).

De même en matière d’asile. Le rapport d’activité de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) révèle que le taux global d’admissions ayant débouché sur l’octroi du statut de réfugié est passé de 29,4 % en 2009 à 27,5% en 2010, ce qui représente 10 340 personnes pour cette dernière année. Laxisme des pratiques et invasion dites-vous ? Sordides tromperies, bien plutôt, distillées par une majorité prête à tout pour tenter d’éviter la déroute du chef de l’État.
Après les « clandestins » pourchassés, raflés et expulsés en masse, ce fut au tour des Roms d’être désignés comme des « ennemis intérieurs » jugés dangereux pour la sécurité des biens et des personnes. Maintenant, ce sont les immigrés en situation régulière et les réfugiés qui sont visés et accusés de prendre le travail des Français, voire de nuire à leur niveau de salaire. Affolée par les succès du Front national, la majorité a tranché : l’immigration et la sécurité seront au centre des priorités gouvernementales pour les mois à venir.

Dans cette conjoncture, où l’UMP recycle les thèses de l’extrême droite, les protestations des dirigeants des gauches parlementaires et radicales sont nécessaires mais insuffisantes. Tout comme les résistances ponctuelles et locales, aussi courageuses soient-elles. Face à cette offensive sans cesse aggravée, la riposte doit maintenant s’organiser. Tel est le sens de l’Appel pour une mobilisation unitaire et nationale contre le racisme et la politique d’immigration du gouvernement, et pour la régularisation des sans-papiers, le 28 mai 2011 (http://dailleursnoussommesdici.org/). Avec Nicolas Sarkozy et la majorité qui le soutient, tout est possible, surtout le pire. Assez !

Idées
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