Le business de la terre
Avec Planète à vendre, Alexis Marant brosse le tableau des nouveaux investisseurs en quête de terres cultivables. Édifiant.
dans l’hebdo N° 1148 Acheter ce numéro
En Haïti, en Égypte, au Pérou, en Somalie, au Sénégal, aux Philippines… Les émeutes de la faim, ces dernières années, ont gagné une trentaine de pays. Avec pour conséquences une ruée sur les terres cultivables. En 2009, 50 millions d’hectares auraient déjà changé de main. La terre est maintenant considérée comme une marchandise, soumise à un vaste mouvement d’accaparement. Point de mire des investisseurs européens et américains, l’Amérique du Sud, l’Océanie, l’Afrique, et depuis peu l’Europe de l’Est et l’Asie centrale. Si l’explosion démographique exige une augmentation de la production alimentaire, tandis que certains gouvernements cherchent à garantir la sécurité alimentaire de leurs pays, les financiers ont compris combien la terre est un business prometteur.
Foin de frontières alors pour des investisseurs qui réclament des avantages douaniers et fiscaux en échange d’infrastructures, de technologies et d’emplois. Soit une certaine forme de délocalisation. Tel est le cas de Français en Argentine et en Uruguay investissant sur des milliers d’hectares destinés aux productions OGM à grande échelle. Autre exemple dans ce remarquable documentaire d’Alexis Marant, au titre sans équivoque : dans une société indienne installée en Éthiopie, produisant des roses, les pelleteuses viennent de Corée, les serres d’Équateur, le système d’irrigation d’Israël, les moteurs d’Allemagne, les plantes d’Inde, le plastique de Chine. Les capitaux sont indiens et les fleurs sont vendues en Europe. « Difficile de faire plus global » , dit fièrement l’entrepreneur, qui s’apprête à user des mêmes méthodes avec le riz. Des méthodes, ici et là, qui voient une monoculture intensive s’installer partout sur des terres ancestrales de villageois démunis.
Apocalypse superbement filmée, Planète à vendre se déploie ainsi comme un road-movie, des représentants de la FAO aux petits paysans, sur trois continents. « À travers la course pour les terres , souligne le réalisateur, c’est de la généralisation d’un modèle de production qu’il s’agit : celui d’une agriculture basée sur la concentration des terres entre les mains de quelques-uns avec une logique de profit ; celui d’un nouvel ordre agricole, animé par des acteurs globaux ; celui d’une agriculture mondiale aux mains des plus riches et qui transforment les petits paysans au pire en exilés, au mieux en ouvriers agricoles payés à la tâche. »