Le choix de la répression
Après un discours ambigu, Bachar Al-Assad et son entourage semblent jouer la carte de l’affrontement avec la population.
dans l’hebdo N° 1149 Acheter ce numéro
Il y a la stratégie marocaine : devancer les revendications pour prévenir quand il est encore temps toute mobilisation de masse. Et il y a la stratégie libyenne, celle de la guerre civile. À Damas, le discours de Bachar Al-Assad, même après plusieurs jours de répression, pouvait laisser entrevoir l’espoir d’un tournant à la marocaine. En annonçant, le 16 avril, l’abrogation de l’état d’urgence qui prive la société de toute liberté depuis 1963, le président syrien pensait sans doute pouvoir encore désamorcer le mouvement social. Trop tard sans doute. Les journées suivantes ont contredit ce semblant d’ouverture et marqué un tournant probablement irréversible dans la stratégie du pouvoir. Les forces de sécurité ont en effet ouvert le feu, le 18 avril, sur un sit-in qui rassemblait plusieurs milliers de personnes à Homs, dans le centre du pays. Le ministère de l’Intérieur n’a laissé aucun doute sur l’origine de cette répression, promettant de mater « une rébellion armée de groupes salafistes » . « Tout Homs est là, répliquaient les manifestants, nous sommes des Syriens qui appellent à la liberté, à la libération des prisonniers, à la fin des arrestations. » Installés sur la place de l’Horloge, à la façon des Égyptiens sur la place Tahrir au Caire, les manifestants de Homs avaient auparavant participé aux obsèques de sept personnes tuées la veille, selon des militants des droits de l’homme. Pour l’avocat et défenseur des droits de l’homme Haytham Maleh, lui-même ancien détenu, les déclarations du Président ont été « insuffisantes » : « L’intervention des services de sécurité dans la vie des gens doit cesser » , et l’article 8 de la Constitution, stipulant que le parti Ba’ath est le dirigeant de la société et de l’État, « doit être annulé » .
Des manifestations ont également eu lieu à Deraa, près de la frontière jordanienne, à Talbisseh, dans la région de Homs, et dans le nord-ouest du pays. Selon Amnesty International, au moins deux cents personnes ont été tuées depuis le début de la contestation, le 15 mars. Pour autant, la Syrie, gagnée par la contagion des autres pays, présente des particularités qui peuvent jouer en faveur du régime. « En Syrie comme ailleurs , note le journaliste Richard Labévière [^2], on assiste à une demande profonde d’ajustements globaux touchant aux libertés civiles et politiques. La jeunesse syrienne, l’une des plus “multimédia” du monde arabe, aspire aux mêmes ajustements revendiqués par ses homologues tunisienne et égyptienne. » « Mais la Syrie n’est ni la Tunisie ni l’Égypte, souligne Richard Labévière, parce que le fait national continue à y lier un pays multiconfessionnel qui accueille aujourd’hui plus de deux millions de réfugiés irakiens, dont nombre de chrétiens ». Plus encore, peut-être, parce que « l’occupation israélienne du Golan continue à fonctionner comme “structurant externe” » . La résistance du régime à la politique israélienne a longtemps opéré comme un ciment avec une partie de la population. Le paradoxe de la situation est d’ailleurs que les ennemis affichés du régime syrien, Israël en tête, ne voient pas d’un bon œil la contestation prendre de l’ampleur. « Les voisins comme la Turquie, les pays européens et, même Israël dans une certaine mesure, optent pour l’apaisement et la stabilisation » , analyse Richard Labévière, qui estime qu’une « implosion confessionnelle interne n’aurait pas que des effets destructeurs sur le Liban voisin mais pourrait dégénérer sur une confrontation sunnites/chi’ites élargie qui n’épargnerait plus les monarchies pétrolières ».
On peut aussi imaginer qu’un débat se mène dans les allées du pouvoir entre partisans d’une libéralisation du régime et partisans de la répression. D’où les ambivalences du discours présidentiel de samedi. Assurément, les seconds semblent imposer de plus en plus nettement leur point de vue.
[^2]: Journaliste et essayiste, Richard Labévière est coauteur, avec Talal el-Atrache, de Quand la Syrie s’éveillera…, éditions Perrin, 383 p., 22,90 euros.