Le doc soigne le réel

Le festival « Visions du réel », consacré
au documentaire, a livré
une sélection toujours aussi remarquable.
Premier compte rendu.

Jean-Claude Renard  • 14 avril 2011 abonnés

À deux encablures de Genève, le festival de Nyon a la réputation d’être exigeant. Avec ce qui se fait de mieux dans le récit et la forme documentaire. Réputation non usurpée, qui s’est vérifiée une fois de plus (entre le 7 et le 13 avril) au cours de ce 17e opus de « Visions du réel ». Avec des œuvres rares, des curiosités qui détonnent dans le ­paysage du documentaire, à l’opposé des convenances et du formatage habituels de nos chaînes.

Ainsi, Une escroc très discrète  (53’), de Delphine Hallis, bâtie sur une rumeur, celle d’une vieille dame, à Nice, que l’on dit criminelle redoutable, arnaqueuse chargée de rameaux allègres, tirée à quatre épingles. Dans l’inventaire encombré, des parfums, de la lingerie fine, des bijoux, des antiquités et des chocolats. Le toutim réglé par chèque. La rumeur semblant très réelle, la réalisatrice brosse au crayon gris des croquis de l’inconnue, suivant les indices, avant de dessiner un portrait, voire un curriculum vitae au gré des rencontres de victimes ou témoins, jusqu’à l’avocat de cette vieille indigne, incarcérée dix-huit mois avant de disparaître à nouveau. Un portrait subtil, poétique, qui s’inscrit entre fiction et réalité.

Avec Dad Made Dirty Movies  (58’), non moins singulier est le portrait de Stephen Apostoloff (1928-2005), transfuge bulgare, figure légendaire du cinéma américain de série Z, auteur de films érotiques, inventeur du genre « sexploitation », raconté à la première personne par le réalisateur, Jordan Todorov. Entre archives, extraits de films et témoignages de proches déjantés itou, entre affection et ironie, un triomphe de ringardise et d’avant-gardisme à la fois.

Autre singularité, les Enfants de la mer/mère  (27’), d’Annabel Verbeke, choisissant pour son premier film une école de marins à Ostende, rassemblant des mômes en manque de repères, aux comportements troublés. Univers concentrationnaire sans éclats de rire, filmé sans pathos, froidement, avec une rigueur toute géométrique. Au millimètre, comme la coupe de cheveux des mômes.

À l’inverse, Atto di dolore (14’) d’Alberto Fasulo, s’étire en un seul et unique plan séquence, virtuose et onirique, plongé au cœur d’une fête religieuse dans un sanctuaire franciscain, livrant une réflexion intime sur l’Italie actuelle, avec ses contradictions douloureuses.

Si proches et si lointaines de Territoire perdu (74’), sur le peuple sahraoui, vu au travers de récits de fuite et d’exil, d’existences persécutées, évoquées sous l’œil de Pierre-Yves Vandeweerd [^2], entre paysages sonores, portraits en noir et blanc, et poétique nomade. Le festival s’annonçait éclectique et exigeant. Voilà fait.

[^2]: Diffusé sur Arte mercredi 20 avril à 0 h 10.

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