Pina : Le génie en relief

Wim Wenders donne à voir en trois dimensions le talent chorégraphique de Pina Bausch et son écrasante personnalité.

Christophe Kantcheff  • 7 avril 2011 abonné·es

Nous sommes au cinéma et pourtant les danseurs du Tanztheater Wuppertal sont là, passent tout près de nous, puis s’éloignent au fond de la scène. Pina, le film que Wim Wenders consacre à la grande chorégraphe allemande Pina Bausch, a été tourné en 3 D. La technique ferait-elle ici l’événement ? Wim Wenders explique avoir enfin trouvé la manière de filmer le travail de Pina Bausch, après 20 ans d’interrogation et d’insatisfaction, en découvrant cette technique. Le résultat est effectivement saisissant et rend indiscutablement justice au travail chorégraphique. Voici le spectateur plongé au cœur du spectacle, entouré par les danseurs dont il distingue les gestes dans toutes leurs dimensions, et dont il peut apprécier les mouvements d’ensemble. En outre, les inconvénients de la technique – notamment l’effet stroboscopique quand la caméra bouge – sont minimisés.

Pourtant, tout spectaculaire qu’il soit, cet effet de vérité s’oublie presque à mesure que le film avance. Ce qui est sans aucun doute à mettre à son crédit. Pina serait bien pauvre s’il ne devait son intérêt qu’à la technique utilisée. En réalité, il est surtout dominé par les circonstances dans lesquelles il s’est fait : le tournage a commencé alors que Pina Bausch venait de mourir brutalement.

Le film, qui devait de manière classique porter sur elle et sur son travail, a pris dès lors une autre direction. Pina n’est pas une rétrospective de l’œuvre de la chorégraphe allemande. Si la captation de quatre spectacles, Café Müller, le Sacre du printemps, Vollmond et Kontakthof , en forme la colonne vertébrale, il s’agit surtout de saisir des formes et des émotions qui attestent du génie inventif de la chorégraphe. Plus encore, Pina n’est certainement pas un hommage. Ce que le film a de plus passionnant, c’est l’immense présence/absence de Pina Bausch qui s’y manifeste. On l’entend, par exemple, dans les propos de chacun des danseurs de la troupe que Wim Wenders donne à entendre. Tous semblent avoir été révélés par leur figure tutélaire. De même, dans les petites pièces dansées, que le cinéaste leur a demandé d’inventer pour évoquer la chorégraphe, et qu’il a choisi de filmer dans les rues ou le métro aérien de Wuppertal. Elles sont toutes sous grande influence. Rien de surprenant, bien entendu. La personnalité de Pina Bausch, et son talent, était écrasante.

On peut s’interroger cependant sur la manière dont ces danseurs sortiront de ce deuil. Quelle autonomie artistique ils vont pouvoir acquérir. S’ils pourront se détacher de la vénération qu’ils lui portent. Ce sont ainsi les conditions de l’héritage possible de l’œuvre de Pina Bausch que pose le film de Wim Wenders, plus complexe et ambivalent qu’il n’y paraît.

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