PJ Harvey : douceur de la douleur

PJ Harvey se livre
à une entreprise aussi insolite que réussie
avec un album autour
de la guerre.

Jacques Vincent  • 14 avril 2011 abonnés

Let England Shake est une suite de chansons autour d’un thème unique où sont moins décrites les scènes d’action que les dommages causés par ces guerres qui toutes impliquaient l’Angleterre, même si les récits sont rarement situés historiquement ou géographiquement. À quelques exceptions près : la bataille des Dardanelles revient par deux fois ; et l’on peut penser que les datiers, les orangers, les citronniers et le pétrole en feux de « Written on The Forehead » sont situés en Irak. Toutes les guerres apportent leur lot de peine, de destruction et de désolation. PJ Harvey trouve sa manière pour le redire mais se défend d’avoir écrit des protest songs . Pas directement, certes, mais une chanson comme « The Glorious Land », symbolique de l’ensemble, ne laisse place à aucune ambiguïté : « Comment notre glorieuse terre est-elle labourée ?/Pas par une charrue d’acier/Notre terre est labourée par les tanks et les pieds en marche/Et quel est le fruit glorieux de notre terre ?/Ce sont des enfants difformes. »

La grande force de ces chansons tient à une écriture serrée, minimale et très visuelle qui dépeint un paysage ou un sentiment en quelques traits. Comme dans « Hanging in The Wire » ( « Il n’y a aucun oiseau chantant/Il n’y a aucun arbre d’où chanter » ) ou dans « The Colour Of The Earth » ( « Louis était mon ami le plus cher/Combattant dans la tranchée d’Anzac/Louis a couru au-delà de la ligne/Et je ne l’ai jamais revu » ).

Cette façon de construire en élaguant au maximum, assez proche des haïkus japonais, se retrouve dans la musique : des chansons souvent courtes, dénuées de pathos et de grandiloquence. On sent moins la volonté de rajouter couche sur couche que celle d’utiliser chaque instrument pour donner une couleur particulière. Les claviers et les cuivres notamment. Percussions et cordes sont au premier plan. Cordes des guitares et de ­l’auto­harpe, cette sorte de cithare beaucoup utilisée dans les milieux folks des années 1950 et 1960, dont la chanteuse s’est mise à jouer et qui tisse un canevas profond et ample. Là-dessus, elle utilise toutes les nuances de sa voix, de l’énergie frontale aux montées jusqu’aux nuées, qui la rendent presque irréelle, en passant par des accents d’une intensité douloureuse et d’autres d’une étrange douceur. Magnifiquement entourée de John Parish, de Mick Harvey (Bad Seeds) et du batteur Jean-Marc Butty, elle signe l’un de ses disques les plus remarquables.

Culture
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