Prof, agriculteur, militaire, ouvrier, étudiante… laborieux travail
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«Mon seul espoir d’embauche, ce sont les départs en retraite»
Thomas[^2], 22 ans, ouvrier intérimaire dans la sidérurgie à Metz.
« J’ai un bac pro en mécanique industrielle et je suis intérimaire dans la sidérurgie à Metz depuis août 2010. Quand je suis entré dans le monde du travail, je n’avais pas d’expérience, je venais juste de quitter l’école. J’ai mis dix mois à trouver un premier boulot. Les employeurs ne reconnaissaient pas l’apprentissage comme de l’expérience. Comme il y avait une crise, ils
n’embauchaient personne. Quelques mois plus tard, j’ai entendu que l’entreprise pour laquelle j’avais postulé dès la sortie de l’école recrutait. J’y suis donc allé et ils m’ont orienté vers une boîte d’intérim parce qu’ils n’engageaient pas en CDI. Mon contrat se terminera fin décembre. Ensuite, soit je chercherai un CDI, soit j’essaierai de trouver un autre contrat en attendant de repostuler dans mon entreprise actuelle [six mois plus tard, la période de carence, NDLR] . Je chercherai dans la mécanique industrielle et la production ou le contrôle. Je chercherai aussi dans la livraison mais j’aimerais quand même rester dans l’industrie. Il y a encore de grosses entreprises en Lorraine, et des petites qui travaillent pour les grosses, donc pour l’instant mon profil est très recherché dans la région. Je suis quand même inquiet parce qu’il y a de plus en plus d’entreprises qui ferment dans le coin, et qui délocalisent dans les pays de l’Est. J’ai peur qu’un jour il n’y ait plus de travail par ici. Il faudra alors que je cherche hors de la région. Si mon entreprise me demande de déménager ailleurs qu’en Lorraine, je le ferai. Pour l’instant, il n’y a pas de possibilité d’embauche en production, là où je suis actuellement. Mon seul espoir d’embauche, ce sont les départs en retraite. »
«
J’ai l’impression
que la France me recrache»
Juliette, 24 ans, étudiante
en Master 2 de géopolitique à Paris.
« J’ai fait de longues études, mais il me semble difficile de trouver un emploi à la hauteur de ma formation. J’ai beaucoup d’amis qui galèrent et qui ont dû se replier sur des stages non rémunérés. C’est superdéprimant. On nous demande d’avoir de l’expérience directement après le diplôme, mais vu que les études coûtent cher, on est obligé de faire des petits boulots à côté pour
les payer. Au final, on n’a pas vraiment le temps de se faire une expérience professionnelle !
Tout cela ne me donne pas confiance en l’avenir. Ma vie personnelle, mes études tournées vers l’international, mais aussi le contexte actuel m’amèneront probablement à bosser à l’étranger. Si je veux faire une thèse, il y a très peu de financement en France, je serai donc obligée d’émigrer dans un pays qui reconnaît l’importance des chercheurs. Je suis contente de me dire que je vais travailler et vivre à l’étranger. Mais je suis triste d’avoir l’impression que la France me recrache, me rejette, parce que je ne trouverai rien qui me correspond ici. On ne nous donne pas vraiment notre chance : avant de commencer à travailler, il faut déjà avoir fait ses preuves. Quand j’y pense, j’ai peur pour l’avenir de la France et des Français. »
«C’est presque plus facile de devenir entrepreneur que salarié»
**Yannis, 24 ans, créateur
d’une pizzeria à Grenoble.
**
« Mon parcours scolaire a été assez chaotique. Après un BEP et un bac pro que je n’ai pas fini, j’ai fait plein de petits boulots (maçon, électricien…), mais je n’arrivais jamais à trouver un emploi stable. Au fond, je ne savais pas trop ce que je voulais faire. C’est ma mère qui m’a donné l’idée de monter ma boîte. Avant son accident du travail, elle travaillait dans la restauration. Du coup, elle m’a expliqué les règles d’hygiène et de sécurité, et aussi comment on fait une pizza ! J’ai continué à me former en autodidacte, en regardant des pizzaïolos travailler. Pour m’aider à monter ma micro-entreprise, la mission locale m’a orienté vers des organismes, mais ça prenait trop de temps.
Du coup, j’ai été voir directement mon banquier : j’avais des économies de mes anciens boulots, et j’ai eu accès à un prêt à taux zéro auprès d’un organisme d’aide à la création d’entreprise. C’était en 2009. Depuis, la pizzeria marche plutôt pas mal. Je fais travailler un ami qui s’occupe des livraisons en scooter sous le statut d’auto-entrepreneur. Au final, je dirais que j’ai été suffisamment aidé. C’est presque plus facile de devenir entrepreneur que salarié ! Et puis je préfère bosser 14 heures par jour pour moi que 8 heures pour quelqu’un d’autre. Je ne fais pas ce boulot uniquement pour l’argent, mais surtout pour la stabilité. D’ailleurs, mon objectif à terme, c’est de faire bosser un maximum de personnes de mon entourage, du même niveau social que moi. Tous ceux qui, comme ça m’est arrivé, ont du mal à trouver un travail. »
« C’est dommage, car à 27 ans, j’ai plein de choses à apporter…»
Maxim hupel, 27 ans,
en recherche d’emploi, Bretagne.
« Il y a un an et demi, je suis venu à Paris pour travailler dans une association qui fait de l’animation dans le domaine de la science et de la nature. Comme je ne trouvais pas de logement car je n’avais pas de garant,
je dormais dans des squats de Jeudi noir ou même au bureau. Du coup, j’ai lâché mon boulot, et je suis retourné en Bretagne, où je vis grâce aux allocations chômage. J’en profite d’ailleurs pour faire le point. Il y a les jeunes qui ont la chance d’avoir des parents derrière, et puis les autres. Leurs parents sont tellement en galère qu’ils doivent se débrouiller seuls. Ces jeunes-là ont autant de mérite que les autres, mais ils se prennent toujours des claques. On ne leur fait pas confiance, même s’ils sont de bonne foi et qu’ils travaillent ! C’est toujours eux qui tirent le diable par la queue. On se présente à un entretien pour ce qu’on annonce être une “offre d’emploi” et finalement, on nous dit : “Vous faites bien l’affaire, mais en fait, on préfèrerait un stagiaire, est-ce que ça vous irait ?” Je demande juste un travail qui me permette de me loger et de me nourrir. Je dépense peu, je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent. Je ne me sens pas abattu – ce n’est pas le genre de la maison –, mais je vais devoir réorienter mes recherches vers un emploi par défaut, où l’on me demandera moins mon avis, où l’on me laissera moins la possibilité d’exprimer mes idées, mais qui me permettra au moins d’avoir un toit au-dessus de ma tête. C’est vraiment dommage parce qu’à 27 ans, je suis dans la fleur de l’âge, j’ai plein d’idées et plein de choses à apporter ! »
« J’ai dû aller aux prud’hommes pour avoir un CDI…»
Leslie charloton, 27 ans, gestionnaire à La Poste, Paris.
« J’ai une licence de lettres modernes, mais mon emploi ne correspond ni à mes études ni à mes ambitions : je m’occupe des opérations bancaires (le traitement des chèques) à La Poste. À la fin de mes études, en arrivant à Paris, j’ai postulé à La Poste en me disant que ce serait temporaire. Après un an et demi de CDD enchaînés, je pensais que j’aurais droit à un CDI. J’ai
attendu, attendu… jusqu’à ce qu’on finisse par me dire ouvertement que je ne l’obtiendrai jamais. Comme j’en avais marre qu’on me prenne pour une poire, sur les conseils d’une collègue, j’ai été voir les syndicats, SUD, en l’occurrence. Je n’avais plus rien à perdre. Je ne voulais plus enchaîner les CDD pendant des années. J’ai engagé une procédure contre La Poste aux prud’hommes. J’ai eu gain de cause et j’ai été embauchée en CDI. Sans cette histoire, je n’aurais pas pensé à me syndiquer. Désormais, je suis convaincue que c’est important.
J’aurais bien aimé trouver un boulot qui valorise un peu mieux ma licence. Mais avec le recul, je me suis fait une raison : quand je compare ma situation avec celle d’amis qui ne parviennent pas à trouver un CDI ou carrément un emploi, je me dis que je ne suis pas si mal lotie. Ici, au moins, j’ai la sécurité de l’emploi. Quand j’entends ce que me disent mes potes de leur travail, je me dis que ça pourrait être pire. Et puis, dans mon service, il y a une bonne ambiance, ce qui est vraiment important pour moi. Je suis bien là où je suis, pour l’instant. »
« Ne pas subir la mobilité, mais en être l’acteur»
Julie Coudry, 32 ans, créatrice d’une agence à Paris qui œuvre pour l’insertion des jeunes diplômés en entreprise.
« Avec les mouvements étudiants en 2006 contre le CPE (contrat première embauche), il m’a semblé important que les jeunes contribuent eux-mêmes à apporter des solutions à la question de leur difficile insertion au lieu de s’adresser à la société sur un registre uniquement revendicatif. Le discours ambiant sur “la génération sacrifiée” peut pousser certains à la résignation.
Quand on donne aux jeunes la possibilité de sortir de cette espèce de déterminisme, d’avoir un cadre pour prendre les choses en main, dans un réseau de solidarité, ils le font ! Le discours inverse, qui prétend que “quand on veut, on peut” est tout aussi faux. Avec l’accumulation des stages, des CDD, le travail en free-lance ou l’auto-entreprenariat, le marché du travail est de plus en plus mobile. Cela nécessite d’être armé pour ne pas subir cette mobilité, pour pouvoir en être l’acteur, de savoir saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent. D’où l’idée de la création de La Manu en 2008. L’objectif est de permettre aux jeunes diplômés de rencontrer le monde de l’entreprise et de s’y confronter pendant leur période d’études. On leur donne des moyens financiers pour monter des projets, on les met en contact avec les entreprises, on a des professionnels qui les accompagnent et on les aide à trouver leur voie. Notre action fait aussi évoluer la vision de l’entreprise. Elle voit des jeunes qui vont de l’avant, qui sont débrouillards. Cela rééquilibre aussi les rapports de force entre l’entreprise et les jeunes, puisqu’ils ne sont pas juste demandeurs d’un emploi qu’on va bien vouloir leur accorder, mais aussi offreur de compétences. Ils prennent alors conscience qu’ils apportent quelque chose à l’entreprise, que celle-ci a besoin d’eux. »
«
Le but n’est pas
de faire fortune mais
de faire ce dont je rêve»
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Pierre-Yves Moriceau, 25 ans,
futur maraîcher en Bretagne.
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« Agriculteur… j’ai toujours voulu faire ça. C’était comme une évidence. Je passais toutes mes vacances chez des oncle et des tante agriculteurs, qui faisaient de la charcuterie, et du pain. Cela m’a sans doute influencé. Toutes mes études ont été liées à cette envie de devenir paysan. Au départ dans l’élevage, et plutôt en conventionnel. Je n’ai découvert le bio que lorsque je faisais mon BTS agricole, après un BEP puis un bac pro. Par contre, il y a une vraie difficulté à trouver des terres quand on n’est pas fils d’agriculteur. C’est pourquoi le projet est de monter une ferme sociale et pédagogique avec mon frère, en 2013.
Le risque du métier, quand on est agriculteur, c’est de rester enfermé dans
son truc, de se laisser déborder par le travail. C’est pour cela que l’on veut faire une ferme ouverte. En plus, j’ai une forte envie de transmettre à mon tour. Les diplômes m’ont apporté la possibilité de faire des stages. Et les stages m’ont permis de rencontrer des agriculteurs, qui ont été ma véritable école.
La perspective d’un faible revenu ne m’effraie pas. Je me dis qu’on sera en autosuffisance alimentaire partielle. Et qu’on habitera sur place. Deux dépenses importantes que nous n’aurons pas à débourser. Et puis mes besoins sont réduits. Je veux une bonne platine pour écouter de la musique, un ordinateur pour naviguer sur le Net. Et aussi pouvoir partir une ou deux semaines par an en vacances. Pas forcément loin. Simplement pour me poser et penser à autre chose qu’au boulot. Le but, ce n’est pas de faire fortune, plutôt de faire ce qui me plaît, ce qui me fait rêver. »
«Le système m’a découragée de faire le travail que j’aime»
Rebecca, 31 ans, prof de lettres en Seine-Saint-Denis.
« L’enseignement n’était pas, au départ, une vocation. Il y a huit ans, j’étais en DEA [master 2 de recherche, NDLR] de lettres modernes et j’ai trouvé des heures de vacation dans un collège. Ça m’a beaucoup plu. À cette époque, je gagnais bien ma vie – environ 2 000 euros les mois où je travaillais – mais sans les congés payés. Les salaires étaient toujours versés en retard. Pour éviter ces mois sans argent, j’ai donné des cours particuliers. Puis j’ai quitté la fac et j’ai continué à faire des vacations, chaque fois dans un établissement différent, quasiment toujours en Réseau ambition réussite, pour remplacer au pied levé des profs souvent en dépression. Au rectorat, ils me disaient : “Cette expérience va vous aider à obtenir le Capes.” En réalité, entre les cours à préparer et les cours particuliers, je travaillais tellement que je ne pouvais pas réviser le concours. Lassée de courir après les postes, je suis devenue assistante pédagogique. J’ai monté avec un chef d’établissement une classe pour des élèves très en difficulté. Pour la première fois, je bénéficiais de congés payés, mais j’étais à mi-temps, rémunéré 500 euros par mois ! Puis je suis devenue contractuelle. En théorie, le statut est moins précaire. En réalité, je gagne 1 400 euros, deux fois moins que la prof agrégée que je remplace ! Sans doute pour faire des économies, l’Éducation nationale a décidé que mon contrat s’arrêterait au mois de juin. Je n’aurai donc toujours pas mes congés payés…
Je suis devenue aigrie. Le système m’a complètement découragée de faire un travail que j’aime ! Même les vieux profs, qui, eux, sont pourtant dans de bons établissements, n’arrêtent pas de me dire de partir car l’enseignement est devenu trop dur. J’ai vraiment l’impression d’avoir été prise pour une idiote pendant toutes ces années. J’ai toujours beaucoup donné. J’ai fait cours dans les classes les plus difficiles, pour des petits salaires, en me formant moi-même en dehors de mes heures de travail. Et en échange, j’ai quoi ? Je suis retournée vivre chez mes parents, qui vont bientôt déménager dans le Sud pour leur retraite, et qui pensent que je suis précaire parce que je le veux bien ! Je suis très angoissée. Je me dis qu’à 35 ans je serai peut-être dans la même situation, que je n’aurai pas assez d’argent pour élever un enfant, pour m’installer… J’aimerais vivre comme une adulte, mais c’est comme si on ne voulait pas me laisser la place ! »
«
Ce qui me plaît dans ce travail,
c’est la vie en collectif»
Mathieu, 19 ans, militaire de carrière dans l’infanterie, à Gap.
« Je suis originaire de Boulogne-sur-Mer (Nord), où il n’y avait pas de travail qui m’intéressait. J’avais envie de m’engager dans l’armée depuis que j’étais petit. Ensuite, j’ai vu les pubs à la télé, qui m’ont encore plus motivé. D’ailleurs, plusieurs copains d’enfance ont, eux aussi, rejoint l’armée. Pour ma part, ça n’a pas été trop dur de quitter ma famille. Et je suis content d’avoir trouvé un travail après un BEP en maintenance des équipements industriels, même si en réalité l’école ne m’a pas beaucoup aidé car on n’apprend pas assez de choses pratiques. Ce qui me plaît dans ce travail, c’est la vie en collectif dans l’escadron, avec des collègues qui n’ont pas tous le même âge. Mais aussi faire du sport, conduire des engins, avoir un encadrement assez strict. Si j’arrive à passer les examens, je voudrais faire toute ma carrière dans l’armée pour conduire des blindés, des nouveaux armements. Je ne me fais pas de souci pour ma vie de famille. Même si je pars à l’étranger, je crois que ça ira. »
[^2]: Certain prénoms ont été changés et les personnes interrogées n’ont pas souhaité faire apparaître leur photo.