Sarkozy et le jeu des 7 familles

Avec le départ de Jean-Louis Borloo et le délitement du front commun contre l’extrême droite, la tour de Babel UMP vacille et craquelle de toutes parts. Cartographie à l’approche de 2012.

Michel Soudais  • 21 avril 2011 abonné·es
Sarkozy et le jeu des 7 familles

L’Union pour un mouvement populaire (UMP) fêtera ses 9 ans le 23 avril. Le gâteau d’anniversaire aura toutefois un goût amer. Après être presque parvenu à « unir les forces politiques de toutes les droites » , l’UMP se délite. Jean-Louis Borloo n’est certes pas le premier à quitter le parti de Nicolas Sarkozy. Mais l’annonce de son départ, le 7 avril, sur France 2, et de son intention de créer une « Alliance républicaine, écologiste et sociale » tourne une page d’histoire de la droite. Celle qui voulait que l’ensemble des familles de la droite soient rassemblées dans un seul mouvement et se présentent unies aux élections dès le premier tour – ce qui à terme devait rendre superflus les seconds tours, comme on l’a vu avec le projet (avorté) de faire élire les futurs conseillers territoriaux au scrutin uninominal majoritaire à un tour.

C’est dans l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2002, après l’élimination de Lionel Jospin, que Jacques Chirac a pu mettre en œuvre son projet d’unification de la droite parlementaire. Le front républicain qui se forme alors face à la candidature de Jean-Marie Le Pen au second tour facilite ce regroupement. Celui-ci est d’abord électoral, comme l’indique sa première appellation : l’Union pour la majorité présidentielle, qui naît le 23 avril 2002, rassemble les troupes du RPR, celles de Démocratie libérale (l’ancien Parti républicain présidé par Alain Madelin), les Radicaux valoisiens emmenés par François Loos et le Forum des républicains sociaux de Christine Boutin. Seuls les centristes de François Bayrou refusent ce parti unique.

Une fois Chirac réélu à l’Élysée avec l’appui d’une confortable majorité à l’Assemblée nationale, l’UMP est rebaptisée Union pour un mouvement populaire, lors du congrès fondateur en novembre 2002. Mais si le RPR et Démocratie libérale se fondent dans la nouvelle formation, les radicaux et les républicains sociaux préfèrent opter pour la formule de formations « associées » : ils conservent leur identité, leur structure et, au prix de négociations laborieuses, obtiennent même un statut particulier pour leurs militants. Ceux du Parti radical peuvent choisir de n’adhérer qu’à leur formation sans être affiliés à l’UMP et, donc, de verser leur cotisation place de Valois et pas rue de La Boétie.

Qu’importe. Le succès aidant, l’UMP continue d’agglomérer les familles de la droite, sous la houlette d’Alain Juppé, son premier président, puis de Nicolas Sarkozy à partir de novembre 2004. Après l’élection de ce dernier à la présidence de la République, même le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers accepte d’être satellisé. Pour garantir une certaine diversité en son sein, les statuts de l’UMP prévoient que le parti est l’union de mouvements « librement administrés » . Dans les faits, de multiples clubs d’élus assurent cette expression diverse : Dialogue et initiative pour Jean-Pierre Raffarin, Le Chêne avec Michèle Alliot-Marie, La Diagonale de Brice Hortefeux, Les Réformateurs autour d’Hervé Novelli et Gérard Longuet, le club Réforme et modernité créé par Hervé Mariton et François Goulard, le collectif de « la droite populaire » conduit par Thierry Mariani… Dans toutes les instances de l’UMP, la distribution des postes tente de préserver l’équilibre des différentes écoles de pensée. Dernier « patron » nommé par le Château, Jean-François Copé a ainsi pris pour adjoints un libéral et un centriste (Hervé Novelli et Marc-Philippe Daubresse).

Ce sont les limites de cette méthode que pointe aujourd’hui la rupture annoncée du Parti radical. La tour de Babel UMP vacille quand Jean-Louis Borloo, soutenu sur ce point par 44 % des sympathisants UMP, selon un sondage Ifop pour le JDD (10 avril), annonce que pour gagner en 2012 la droite et le centre-droit doivent marcher sur leurs deux jambes. Et donc présenter chacun un candidat. Elle craquelle quand le front commun contre Le Pen père, qui l’avait portée sur les fonts baptismaux, éclate. Et lorsque Nicolas Sarkozy est lâché par une partie de ses troupes lassées de le voir courir derrière Le Pen fille.
Les démons de la division, qui avaient tant contrarié le retour de la droite aux commandes de l’État après la victoire de la gauche en 1981, sont de retour. À un an de la présidentielle, la droite se présente en sept familles, d’inégales importances certes, mais pas moins rivales.

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UMP**

Sarkozy-Copé-Fillon

Forgée par Nicolas Sarkozy, qui continue à la diriger depuis l’Élysée, l’UMP est

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perpétuellement tiraillée entre des positions contraires, comme on l’a vu sur les consignes de vote aux cantonales ou à l’occasion du débat sur la laïcité. Le seul ciment entre les multiples sensibilités qui la composent est de conserver le pouvoir, une perspective aujourd’hui hypothéquée par l’impopularité record du chef de l’État. Même François Fillon, formé à l’école des gaullistes sociaux et élu sur les terres démocrates-chrétiennes, ce qui en faisait l’incarnation de l’unité de la droite, est contesté par Jean-François Copé. Le secrétaire général de l’UMP laisse filer une partie de son aile centriste en se lançant dans une course aux voix des électeurs du FN. Ce faisant, il se taille sur mesure une UMP monocolore, sécuritaire et néolibérale.

Alliance républicaine,
écologiste et sociale

Borloo (Parti radical) Morin (Nouveau Centre)

Pour construire son « Alliance » et « organiser l’aile sociale et humaniste de la majorité » (Politis n° 1148), Jean-Louis Borloo doit convaincre le Parti

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radical, qu’il préside, de rompre avec l’UMP lors de son congrès mi-mai, or ses 19 députés et 6 sénateurs craignent des représailles. Convaincre aussi l’Alliance centriste de Jean Arthuis, la Gauche moderne de Jean-Marie Bockel et surtout le Nouveau Centre d’être de l’aventure. Un pari compliqué : Hervé Morin, leader des néocentristes, se voyait bien candidat. Ce week-end, il approuvait la réduction de l’immigration légale annoncée par le gouvernement tandis que Borloo flirtait avec les radicaux de gauche de Jean-Michel Baylet, qu’il voudrait enrôler, critiquant devant eux les débats sur l’identité nationale et la laïcité.

République solidaire

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Villepin**

L’ex-Premier ministre ne cesse d’étriller la politique de Nicolas Sarkozy, allant jusqu’à dire qu’il représentait « l’un des problèmes de la France » . Dans

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l’attente de sa comparution en appel dans l’affaire Clearstream en mai, il a déjà son projet de « refondation politique » , basé sur un nouveau contrat de citoyenneté, qu’il entend « assumer et incarner » l’an prochain. Sa mesure-phare : un « revenu citoyen » de 850 euros par mois, ouvert aux plus de 18 ans n’ayant aucune ressource et, d’une manière dégressive, à tous ceux qui gagnent moins de 1 500 euros. Les rares élus qui le soutenaient sont sceptiques, mais il n’en a cure : les grands partis qui font un projet avec 250 parlementaires, « ça donne du pipi de chat » , dit-il convaincu qu’ « une campagne présidentielle, ça se fait à cinq personnes dans un bureau » .

DLR (Debout la République)

Dupont-Aignan

Absent de l’élection présidentielle de 2007 faute d’avoir obtenu les 500 parrainages, Nicolas Dupont-Aignan escompte bien se présenter cette

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fois. À la tête d’un parti sorti de l’UMP en janvier 2007, il revendique 11 000 adhérents et 450 élus locaux, et se qualifie plus volontiers « gaulliste » que « souverainiste ». Très critique sur l’euro, dont il réclame la sortie dans l’Arnaque du siècle (Éd. du Rocher), il a demandé à Nicolas Sarkozy de renoncer à sa candidature pour éviter « le suicide de la droite » et veut « offrir un choix aux millions de Français qui ne supportent pas l’UMPS, et qui ne veulent pas pour autant voter FN » .

PCD (Parti chrétien-démocrate)

Boutin

L’ex-ministre du Logement et de la Ville est convaincue que « la rupture entre les Français et Nicolas Sarkozy est profonde » , et dresse un bilan

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mitigé du quinquennat. Satisfaite du statu quo sur les mères porteuses, l’euthanasie ou les droits des homosexuels, elle dénonce l’incohérence des annonces du pouvoir, et déplore « un véritable culte de l’individu » qui aurait modifié « notre rapport au corps, à celui de la femme » , mais aussi « au temps » et « à Dieu » . Son parti (10 000 adhérents et 200 élus revendiqués), bien qu’associé à l’UMP, s’est prononcé le 2 avril pour une candidature autonome à la présidentielle de 2012.

MPF (Mouvement pour la France)

Villiers

Très affaibli, le mouvement de Philippe de Villiers menace de ne pas soutenir Nicolas Sarkozy en 2012 si « les valeurs d’une droite nationale de

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convictions » ne sont « pas réaffirmées sans ambiguïté » . Le MPF, silencieux depuis le départ fracassant de son chef du conseil général de Vendée en octobre, a estimé lors d’un conseil national, le 9 avril, que les engagements qui l’ont conduit à rejoindre la majorité présidentielle en 2007 « n’ont pas été tenus » . Le MPF pointe notamment le « libre-échange aveugle » , le « laxisme de l’Europe de Schengen » et la poursuite des négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’UE, « le recul sur la déchéance de nationalité […], sous la pression de quelques députés centristes » , et le débat sur la laïcité qui « s’écarte de son but lorsqu’il se résume à proposer le financement des mosquées sur fonds publics ».

MoDem

Bayrou

Premier à s’être dressé contre Sarkozy et fort de cette antériorité, qui l’a conduit à tourner la page de l’UDF pour créer le MoDem en décembre 2007,

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François Bayrou observe avec ironie la multiplication des candidatures présidentielles, en évoquant « la saison des champignons de printemps » . Ni Dominique de Villepin, ni Hervé Morin, ni Jean-Louis Borloo –  « Jamais en neuf ans au gouvernement il n’a trouvé une réserve à exprimer »  – ne trouvent grâce à ses yeux, prompts à ne voir dans leurs candidatures que des opérations de dispersion et de brouillage peu respectueuses des électeurs. Quand il affirme que le rassemblement du centre pour 2012 devrait se faire avec « un seul courant politique », « un seul candidat » (lui !) et en refusant « toute confusion avec l’UMP », François Bayrou a pour lui la cohérence de son parcours. Mais après avoir parié sur une implosion rapide du PS, le « troisième homme » de la présidentielle de 2007 paraît bien seul. La plupart de ses amis l’ont quitté, et le rejet du sarkozysme, qu’il avait pronostiqué, n’a pas profité à son mouvement, qui va de défaite en défaite depuis 2008.

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Politique
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