S’ils sont au gouvernement…

Les propositions du PS rendues publiques concernent l’emploi et l’autonomie des jeunes, le chantier du logement, une réforme de la fiscalité. Des pistes intéressantes… à condition qu’elles soient suivies.

Pauline Graulle  et  Ivan du Roy  • 7 avril 2011 abonné·es
S’ils sont au gouvernement…
© Photo : BUREAU / AFP

Cela fait plus de deux ans que le PS, sous l’impulsion de Martine Aubry, à grand renfort d’experts et de conventions thématiques, planche sur le futur programme de gouvernement. À l’arrivée, une trentaine de « mesures phares » lâchées au détour d’une fuite dominicale via un hebdo du groupe Lagardère… Question forme, le PS aurait pu faire plus solennel. Surtout quand on affiche l’ambition de tourner la page du sarkozysme, d’affronter les crises sociales et environnementales, de dépasser « un système à bout de souffle » (Martine Aubry), et de répondre aux attentes d’un renouveau de la gauche. Reste le fond. La série de propositions rendues publiques compile des mesures anecdotiques (mise en place du CV anonyme), d’anciennes idées dépoussiérées (la création de « 300 000 emplois d’avenir ») et précise quelques sujets bienvenus, telle la politique du logement, la « sortie du tout-nucléaire » et une réforme de la fiscalité.

La Première secrétaire socialiste a voulu « dédier le projet du PS » aux nouvelles générations. Cela change du traitement sécuritaire réservé en général à la jeunesse, des banlieues aux violences scolaires en passant par les dangereux apéros Facebook. Mais que promet (vraiment) la gauche à la jeunesse française ? L’emploi, d’abord. Alors qu’un million de personnes de moins de 30 ans pointent au chômage, 300 000 emplois d’avenir (les emplois-jeunes ressuscités de l’ère Jospin) financés à 75 % par l’État devraient soutenir l’embauche dans les secteurs de l’environnement et de l’économie sociale.

Rien de bien nouveau sous le soleil, clame la droite… « Ce sont certes de vieilles recettes, mais on ne peut plus tergiverser car il y a urgence à agir. Et puis créer 300 000 emplois, ce n’est quand même pas rien ! » , estime Camille Peugny, maître de conférences en sociologie à l’université Paris-VIII. « Pourquoi n’avoir pas repris la logique des emplois tremplins mis en place par les régions, qui sont des CDI subventionnés ? » , s’interroge Jean-Philippe Revel, représentant CGT des missions locales, qui souhaite également « rendre obligatoire une formation complémentaire » . Autre écueil à éviter : que ces emplois d’avenir ne se retrouvent dans les faits quasi exclusivement réservés aux jeunes fraîchement diplômés, recrutés par le secteur associatif, sans ouvrir de débouchés aux sans-diplômes.

Autre proposition de Martine Aubry – d’ores et déjà jugée non finançable par les proches de DSK –, la création d’une allocation d’autonomie pour la jeunesse, comme il en existe en Europe du Nord. Si on ne connaît encore ni le montant ni l’objectif de ce « revenu universel », il constitue sur le principe « un vrai changement de philosophie » , poursuit Camille Peugny. « C’est la mesure qu’il faut prendre pour favoriser l’autonomie des jeunes. En France, les jeunes sont encore inféodés à leur famille. Cela favorise gravement la reproduction sociale. Si elle atteint une somme correcte, par exemple 700 euros mensuels sur trois ans, et si elle est couplée à un programme de formation, cette allocation pourra permettre à des jeunes ayant quitté l’école très tôt de ­reprendre leur vie en main. » Beaucoup de « si » à l’horizon… D’autant que François Hollande a déjà enfoncé un coin dans l’idée de l’universalisme, en annonçant que cette allocation devait être sous condition de ressources et en échange d’une contrepartie. « L’autonomie doit être pour tout le monde , estime Jean-Philippe Revel. Pour le reste, ils n’ont qu’à augmenter les bourses. »

Pour éclaircir l’horizon des 3,5 millions de personnes mal logées, le PS prend deux orientations majeures : l’encadrement du prix des loyers dans le parc privé « dès la première location et lors de la relocation dans les zones en tension » , et la construction de 150 000 logements sociaux par an. « Ce volontarisme politique en la matière est assez rare pour être souligné ! , se félicite Christophe Robert, sociologue à la Fondation Abbé-Pierre. Le point positif, c’est que le projet suit ce que nous disons depuis des années : il faut réguler et arrêter de laisser libre cours au marché, qui a conduit dans certains endroits à une hausse des loyers de 45 % en dix ans. »

À Paris, symbole du délire immobilier, le loyer aspire – en moyenne ! – 34% des revenus des ménages modestes ou moyens [^2]. Reste que l’intervention politique consiste (en l’état) davantage à contenir la hausse des loyers qu’à en amorcer la baisse. Très insuffisant devant l’ampleur des enjeux, regrette Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au logement (DAL), qui préconise un plafonnement des loyers à 15 euros maximum le mètre carré : « Par ailleurs, le projet socialiste ne dit mot du droit au logement opposable, qui devrait pourtant être un des socles de la protection sociale. Le PS reste au niveau du “réglage” pour donner un peu d’air au pouvoir d’achat, mais il n’y a pas de vraie remise en cause de la spéculation immobilière. »

La construction de 150 000 logements sociaux « est un objectif intéressant » , estime Christophe Robert. Si toutefois ces habitations sont clairement destinées aux populations les plus en difficulté. En 2010, un tiers des ­130 000 lo­ge­ments sociaux construits étaient destinés aux classes moyennes. « On doit se réjouir que la question du logement revienne au centre des préoccupations politiques pour 2012 , poursuit Christophe Robert. La volonté de Nicolas Sarkozy de faire une France de propriétaires a échoué car les ménages modestes et les classes moyennes se sont retrouvés hors jeu du fait de la flambée des prix. Les options de régulation proposées par le PS sont un premier pas très encourageant. Mais il faudra aller plus loin dans la remise en cause du système. »

Un autre et vaste système à réformer : la fiscalité. La fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG « est un chantier intéressant qui a le mérite d’ouvrir le débat de fond » , réagit Vincent Drezet, du Syndicat national unifié des impôts (Snui), mais « attention aux implications, qui sont complexes » . Tout dépendra donc de la manière de les réunir. Une CSG relevée et plus progressive favorisera paradoxalement les plus riches, ceux-ci pouvant la déduire en partie de leur impôt sur le revenu. « Si la CSG n’est plus déductible, vous créez le sentiment d’une double imposition » , avertit Vincent Drezet.

Le chemin vers un « grand impôt citoyen sur le revenu » , que le syndicaliste appelle de ses vœux aux côtés de l’eurodéputé socialiste Liêm Hoang-Ngoc [^3], sera tortueux. Le PS devra concilier la progressivité de l’impôt sur le revenu et l’assiette élargie de la CSG, tout en s’attaquant à la jungle des niches fiscales.

Autre problème : une possible étatisation du budget de la Sécurité sociale. Aujourd’hui, chacune de ces ressources est distincte : la CSG est consacrée à la protection sociale, l’impôt sur le revenu tombe dans les caisses de l’État (17 % de ses ressources). En cas de pot commun, « compte tenu des pressions sur le budget de l’État, les ressources allouées à la santé ou à la famille ­risquent d’être les premières visées » , avertit le fonctionnaire des impôts.

Les socialistes souhaitent également baisser l’impôt sur les sociétés à 20 % (au lieu de 33,3 %) pour les profits réinvestis et le monter à 40 % pour les bénéfices distribués aux ­actionnaires. Une manière de favoriser l’activité réelle aux dépens de la rémunération du capital. Et d’en finir avec le « scandale » de l’optimisation fiscale qui permet aux multinationales de n’être imposées que de 8% en moyenne. Une « idée intéressante et faisable » , selon Vincent Drezet, mais qui soulève la question de l’harmonisation de la fiscalité européenne.

Cette mesure fait écho à la grande « banque publique d’investissement » que le PS ambitionne de créer en réunissant les moyens du fonds d’aide aux PME Oseo, de la Banque postale et de la Caisse des dépôts. Objectif : soutenir l’activité des PME, qui, dans l’économie réelle, créent plus d’emplois que les grands groupes du CAC 40.

Avec une « TVA écomodulable » et une augmentation des droits de douane européens selon des critères sociaux et environnementaux, taxe carbone et fiscalité écologique reviennent dans le débat. Encore faut-il que les consommateurs disposent d’une alternative aux produits polluants et plus fortement taxés, et que cette barrière douanière ne se résume pas « à une forme de protectionnisme honteux sans véritables critères » , craint Vincent Drezet. Bref, cet avant-goût de projet socialiste pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponses. « On attend de voir le projet réel » , résume le syndicaliste. Et de savoir qui le portera.

[^2]: Selon une étude de l’association départementale d’information sur le logement (Adil).

[^3]: Il faut faire payer les riches, La Découverte, 2010.

Politique
Temps de lecture : 8 minutes

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