« Une double écriture »
Entretien avec Joseph Beauregard, réalisateur, qui livre les clés de la fabrication de ce webdocumentaire.
dans l’hebdo N° 1147 Acheter ce numéro
Politis : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à François Duprat, inconnu du grand public ?
Joseph Beauregard : En tant que citoyen et documentariste, je m’intéresse beaucoup à l’histoire, à la politique et j’ai un intérêt très fort, mais aucune fascination, pour les groupuscules d’extrême gauche et d’extrême droite des années 1960 et 1970, la police et les services de renseignements. Bien des fois, je suis tombé sur François Duprat dans les livres, je savais donc qu’il était un idéologue, un stratège et un théoricien qui avait traversé ces années en jouant un rôle central dans sa famille politique, et que son assassinat s’inscrivait dans une histoire de la violence politique. Après avoir lu le remarquable livre de Frédéric Charpier, Génération Occident, l’idée de faire un documentaire sur Duprat ne m’a plus jamais quitté.
Comment ce projet est-il arrivé au Monde.fr ?
Nous avons accumulé les refus des chaînes, nous avons donc fini par nous dire qu’il fallait se concentrer sur le livre, et, quand il sortira, peut-être qu’une chaîne acceptera de nous faire confiance. Parallèlement, j’ai eu la chance de travailler à Radio Nova, ce qui m’a reposé de François Duprat et donné une belle énergie. Au fil des rencontres, je me suis tourné vers Boris Razon, rédacteur en chef du Monde.fr, qui s’est montré sensible à ma démarche. Il a porté le projet avec élégance, dans un climat de totale confiance et en mettant son équipe à mon service.
Comment êtes-vous passé
du documentaire linéaire
au webdocumentaire ?
Le documentaire linéaire reposait sur les sept hypothèses qui pouvaient expliquer ce singulier assassinat. À partir de là, nous racontions les vies de Duprat, car chacune d’elle correspondait à un aspect de sa sulfureuse et complexe existence. Quand j’ai intégré l’équipe du Monde.fr, pendant longtemps nous sommes restés sur cette idée, mais j’avais aussi envie et besoin de concevoir un documentaire spécifiquement pour le web, et pas un documentaire qui aurait échoué à la télé et que j’adapterai avec plus ou moins de réussite pour le web. Un jour, j’ai eu une vision : il fallait raconter la trajectoire officielle de l’homme politique et, en parallèle, avec une autre écriture et une autre esthétique, raconter « son monde de l’ombre. » À partir de cette idée très simple, tout est devenu évident.
Concrètement, comment
avez-vous travaillé ?
Avec Nicolas Lebourg, nous avons écrit les questionnaires et sollicité les meilleurs spécialistes pour notre histoire et trois témoins-acteurs. Tous les témoins experts sont venus dans le studio du Monde.fr, et les témoins-acteurs ont été filmés dans leur environnement. Les 15 heures d’entretien à dérusher m’ont permis de m’approprier la matière première avant d’écrire un séquencier très précis. Dans un premier temps, avec Karim El Hadj, nous avons monté le monde officiel, c’est-à-dire les entretiens. Ensuite, Étienne Manchette, de l’INA, coproducteur du webdoc, nous a livré des trésors. À partir de là, nous avons essayé de faire de l’orfèvrerie en plaçant les archives INA, l’iconographie et la bande sonore de Samuel Hirsch. Pour « le monde de l’ombre », nous avons écrit les textes, et j’ai fouillé dans le fonds de l’INA pour trouver les images qui correspondaient à celles que j’avais dans ma tête.