À droite, la peur de l’apocalypse « socialo-communiste »
L’élection de François Mitterrand fut, à droite, l’objet de toutes les craintes
et de tous les fantasmes. Retour sur une époque où le ciel semblait être tombé
sur la tête du camp conservateur…
dans l’hebdo N° 1151 Acheter ce numéro
Le 10 mai 1981, 20 heures. Restée dans toutes les mémoires, l’image du visage de François Mitterrand, dessiné grossièrement par les ordinateurs de l’époque, apparaît sur les écrans. Avec plus de 51,7 % des suffrages, le quatrième président de la Ve République est socialiste. Tous les sympathisants et militants d’une gauche exclue du pouvoir depuis vingt-trois ans exultent. À droite, c’est la consternation, doublée d’une véritable frayeur. Pour les « libertés » (sic), mais surtout pour les affaires, les propriétés et patrimoines en tout genre. Déjà, pendant la campagne, avec encore plus d’ardeur entre les deux tours, la droite n’a cessé d’agiter menaces et fantasmes d’une apocalypse en cas de victoire des « socialo-communistes », comme on disait alors dans ce camp-là.
Le cliché largement rebattu depuis des semaines était que, Mitterrand élu, « les chars russes défileraient quelques jours plus tard sur les Champs-Élysées », certains ayant même calculé combien de jours il leur faudrait pour atteindre les côtes bretonnes ! Le très droitier syndicat étudiant, l’UNI, avait collé des milliers d’autocollants – tout nouvel outil de propagande à l’époque – rouge et blanc avec l’inscription : « Le socialisme, c’est le printemps du goulag. » Un slogan grossier mais qui résume assez bien le climat chez les conservateurs.
Bien que l’on ne puisse raisonnablement taxer François Mitterrand de philo-soviétisme, les attaques contre lui n’ont cessé de jouer sur un amalgame avec les pays de l’Est. Valéry Giscard d’Estaing lui-même ne s’en est pas privé, plus l’échéance du second tour approchait. Il prévenait ainsi, quelques jours avant, dans un discours prononcé dans la bonne ville de Dole : « Si François Mitterrand est élu, ce sera l’ordre communiste ou le désordre socialiste. » Au choix, serait-on tenté de dire ! Et d’ajouter : « Le programme de Mitterrand, ce sera un programme marxiste, la nationalisation des principaux secteurs de l’économie, y compris l’automobile et la sidérurgie, et la mainmise de l’État sur l’école, la culture, les loisirs… »
On se souvient de la panique (bien réelle, celle-ci) des marchés financiers, banquiers et autres industriels, qui, au lendemain du 10 mai 1981, craignant pour leurs avoirs, s’empressèrent de placer ceux-ci à l’étranger. On se souvient des centaines de millions de francs virés en Belgique par Paribas à la veille de la nationalisation des banques.
On a ainsi découvert qu’entre le 11 mai au matin et le 21, date de la prise officielle des fonctions du nouveau Président et du premier gouvernement Mauroy, ce sont entre 400 et 600 millions de dollars qui quittaient la France… chaque jour.
Pour se remémorer la peur à droite de fortunes dilapidées par la gauche au pouvoir, il suffit de relire l’article du 11 mai 1981 dans le Figaro, signé de l’un des spécialistes en économie du groupe Hersant, Antoine-Pierre Mariano, par ailleurs connu pour ses sympathies pour l’Algérie française. Sous le titre « Une aventure lourde de risques », le papier commençait ainsi : « Voilà donc François Mitterrand élu à la présidence de la République. Pour l’économie française, c’est le plus mauvais coup depuis mai 1968 » ! Se lamentant de la « confiance » qui ne manquerait pas de disparaître, le journaliste poursuivait en décrivant par le menu les sombres lendemains auxquels son camp s’attendait : « Rien dans le programme de François Mitterrand (et encore moins dans celui de ses alliés communistes) ne donne confiance : l’économie française va s’enfoncer dans l’inflation ; le déficit budgétaire va se creuser ; et depuis ce matin, tous ceux qui ont la rage de gagner et d’entreprendre ont les jambes coupées… »