Égypte, Tunisie : tentatives de déstabilisation
Trois et quatre mois après la chute des dictateurs, les partisans des anciens régimes entretiennent un climat d’insécurité visant à empêcher la tenue d’élections libres.
dans l’hebdo N° 1152 Acheter ce numéro
Sur fond de crise sociale réelle et de revendications insatisfaites, les incidents qui se multiplient en Égypte et en Tunisie montrent que les forces liées aux anciens régimes restent actives.
Ainsi, la Tunisie, premier pays « libre », est actuellement en proie à des affrontements régulierss entre manifestants et forces de police. Des centaines de personnes, majoritairement des jeunes, se réunissent quotidiennement au cœur de Tunis pour réclamer la démission du gouvernement transitoire de Béji Caïd Essebsi, accusé de travailler pour le Président déchu, Ben Ali. Les slogans sont identiques à ceux des premiers jours : « Gaz lacrymogènes et cartouches, les Tunisiens n’ont pas peur » ou « ministère de l’Intérieur, ministère terroriste ».
Un couvre-feu nocturne a été décrété le 7 mai à Tunis et dans sa banlieue, dû à des violences et à des pillages, selon le ministère de la Défense et de l’Intérieur. Les porte-parole du mouvement révolutionnaire qui a eu raison de Ben Ali le 14 janvier sont convaincus que les violences qui se greffent sur certaines manifestations sont destinées à créer un sentiment d’insécurité et sont le fait des « lobbies » de l’ancien régime. Dans un tel climat, l’élection d’une Assemblée constituante chargée d’élaborer une nouvelle Constitution, prévue le 24 juillet, est aujourd’hui incertaine. « Le gouvernement s’est engagé en choisissant la date du 24 juillet, et on tient à cette date, mais si le comité des réformes dit qu’il y a des empêchements techniques et logistiques, ce sera une autre probabilité à discuter » , a déclaré Béji Caïd Essebsi le 8 mai dans un discours télévisé. La Commission électorale indépendante, chargée de superviser le scrutin, a toutefois été constituée le lendemain. En cas d’incapacité d’organiser des élections le 24 juillet, le pays pourrait basculer dans un vide juridique, le mandat du gouvernement provisoire prenant fin à cette date.
L’Égypte connaît également un regain de violences. Des affrontements entre Coptes et musulmans ont fait 12 morts et 232 blessés aux abords d’une église, dans le quartier d’Imbaba au Caire, le 7 mai. Il s’agirait, selon des responsables sur place, de 4 chrétiens et de 6 musulmans. Deux corps n’ont toujours pas été identifiés. Tout est parti d’une rumeur qui faisait état de la prise en otage dans une église d’une femme chrétienne voulant se convertir à l’islam. La rumeur a rapidement provoqué la mobilisation de groupes de jeunes musulmans soupçonnés d’être instrumentalisés par l’ancien régime. Un autre lieu de culte copte a également été incendié dans le quartier au cours de la même journée. Dans un communiqué, le ministre des Affaires étrangères, Anouar Mohammad Gargash, a « dénoncé l’action ignoble qui a visé deux églises où des affrontements entre Coptes et musulmans ont fait 12 morts » . L’armée, dépositaire du pouvoir depuis la chute d’Hosni Moubarak, a annoncé l’arrestation de 190 personnes, qui seront déférées devant les tribunaux militaires.
Les Coptes, ou chrétiens d’Égypte, représentent 6 à 10 % de la population. Ils s’estiment marginalisés et discriminés dans une société en grande majorité musulmane.
Ces graves incidents, en Égypte et en Tunisie, montrent que le curseur de la révolution n’est pas arrêté. Vaincus, les partisans des anciens régimes tentent d’instrumentaliser la grande misère ou les tensions religieuses pour instaurer un climat de violence et empêcher la tenue d’élections libres, premier aboutissement des processus révolutionnaires.