Flagrants délits de mensonge
Dans les Intellectuels faussaires, Pascal Boniface démonte le discours de huit experts médiatiques. Édifiant.
dans l’hebdo N° 1153 Acheter ce numéro
En 2003, trois semaines avant les premières bombes sur Bagdad, il prophétisait que la guerre d’Irak n’aurait pas lieu. En 2004, il donnait pour certaine la victoire de John Kerry à la présidentielle américaine. La même année, il affirmait qu’une majorité de Palestiniens souhaitaient la destruction d’Israël, alors même qu’un sondage démontrait spectaculairement le contraire. Qui est-ce ? Alexandre Adler, bien sûr. Omniprésent dans les pages du Figaro , chroniqueur attitré de France Culture, sollicité sur tous les plateaux de télévision pour sa perspicacité et un sens inné de l’anticipation, l’ami inconsolable d’« Arik » Sharon, ne cesse en réalité de se fourvoyer, et de fourvoyer lecteurs et auditeurs. Trompe-t-il ? Se trompe-t-il ? Le doute est permis. Mais le résultat est un peu le même. L’étonnant, c’est que ce festival d’erreurs ou de contrevérités ne nuit en rien à la réputation d’Alexandre Adler. Ni à sa carrière d’expert omniscient. L’homme a toujours son rond de serviette un peu partout dans le Paris médiatique.
Le livre de Pascal Boniface, qui passe au crible le discours de huit intellectuels toujours en cour – quel que soit le monarque –, va-t-il altérer la réputation d’Adler ? Si cela doit arriver un jour, c’est avec ce livre que cela arrivera. Car Boniface n’affirme pas, ne diffame pas, ne suggère pas, n’insinue pas. Il montre et démontre. C’est citation contre citation. Le gibier n’a aucune chance de prendre la fuite. Il ne lui laisse aucune échappatoire. C’est ce qui distingue son ouvrage de quelques autres, sur les mêmes « sujets ».
Adler, comme un peu plus loin Caroline Fourest (la « serial-menteuse »), Mohamed Sifaoui, (le « pourfendeur utile de l’islamisme ») et d’autres du même acabit (Thérèse Delpech, Frédéric Encel, François Heisbourg, Philippe Val et bien sûr BHL) sont placés rudement en face de leurs contradictions. Des erreurs, des fautes, des falsifications qui ne pardonneraient pas pour d’autres intellectuels, dont la réputation serait ruinée à moins. Rien de tel pour eux. Pourquoi ? Boniface propose une explication : « Si des “faussaires” parviennent à avoir pignon sur écran, c’est […] qu’ils se coulent dans le bain amniotique de la pensée commune. » « Un “faussaire” sera d’autant plus crédible […] qu’il va dans le sens des vents dominants. » Et il n’est guère besoin de creuser très profond pour comprendre où va le vent.
Islamophobie, palestinophobie, soutien explicite ou implicite à la politique israélienne constituent le fonds de commerce idéologique de ce petit cercle. La fin justifie les moyens. Boniface observe aussi un autre phénomène qui distingue cruellement nos intellectuels médiatiques de leurs ancêtres, Aron et Sartre, par exemple. Ils n’ont pas d’œuvre. Les médias « ont révolutionné la hiérarchie des intellectuels » , note l’auteur. Autrement dit, ce n’est plus l’œuvre qui légitime l’incursion dans l’espace public. Il n’y a plus d’œuvre distincte ; il n’y a plus que le discours médiatique qui s’autolégitime. Il en résulte que la revendication d’intellectuel relève le plus souvent de l’imposture.
Boniface démonte en particulier le processus d’accès à la notoriété de Caroline Fourest. Autoproclamée spécialiste de l’islam après un petit ouvrage approximatif sur Tariq Ramadan, truffé de préjugés et d’insinuations, elle a su dire ce qu’une certaine classe politique voulait entendre, flatter les peurs que d’autres s’efforçaient de répandre. C’est son talent. Mais on ne fera pas ici ce que l’on dénonce : c’est-à-dire procéder par allusion. On renverra donc à l’ouvrage de Pascal Boniface, qui apporte les preuves de ce qu’il avance. Et on verra une fois de plus si ces flagrants délits de mensonge glissent sur le système médiatique comme sur les plumes d’un canard.