Génération désillusion

Olivier Doubre  et  Pauline Graulle  et  Jennifer Austruy  • 5 mai 2011 abonné·es

Stéphane Gatignon maire (EELV) de Sevran

« Le droit d’inventaire mitterrandien n’a pas eu lieu »

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« Quand François Mitterrand a été élu, j’avais 11 ans. Mes parents, communistes, avaient suivi la consigne de la direction du Parti de ne pas voter pour lui au second tour… Alors je me souviens avoir “fêté” sa victoire le soir même à la mairie d’Argenteuil avec mes parents, qui étaient très mitigés, et des militants déçus du résultat !
Je sentais toutefois que les années Giscard, marquées par de sombres affaires (les diamants de Bokassa, par exemple), avaient laissé la place à une nouvelle ère, où, malgré tout (on connaissait déjà le passé trouble du personnage), il y avait un certain espoir… Hélas, le tournant de la rigueur est arrivé assez vite. En 1988, j’avais 19 ans, et j’ai voté comme tout le monde Mitterrand au 2e tour pour que la gauche gagne. Il a été réélu haut la main grâce à l’écroulement du PC.
Ce que je retiens de positif des années Mitterrand ? Il a d’abord – et surtout – montré que la gauche pouvait arriver au pouvoir ! Mais si, en début de mandat, il portait une vraie vision du monde (l’abolition de la peine de mort, bien sûr), à partir des années 1990, il s’est accroché à un monde qui n’existait plus. D’où les vingt-cinq ans de retard sur l’économie verte que nous avons aujourd’hui par rapport à l’Allemagne, ou cette vieille vision des étrangers qui sont toujours considérés comme en marge de la société, et non comme partie intégrante… Tant au niveau de son histoire personnelle que de sa politique, le droit d’inventaire mitterrandien n’a pas eu lieu, et c’est vraiment regrettable. »

Aurélie Trouvé,

coprésidente d’Attac

« Celui qui a baissé
les bras »**

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« J’avais 15 ans, en 1995. J’ai donc surtout vécu le mitterrandisme à travers mes parents. Je pense qu’il y a eu deux phases. D’abord, deux ans d’espoir de création d’une alternative politique, puis le désenchantement à partir de 1983. L’ère mitterrandienne a marqué le début du social-libéralisme. Il aura été, au final, celui qui a baissé les bras face au néolibéralisme, celui qui n’a pas su inventer une vraie gauche. J’ai commencé à me politiser sous le gouvernement Jospin, qui ne représente pour moi que la continuité de l’échec lamentable de la gauche au pouvoir, préparé dans les années 1980 par Mitterrand. C’est un lourd passé. Aucun homme politique de gauche n’a su créer de réelle alternative. Ils ont tout emprunté au dogme du libéralisme. »

Salah Amokrane

ancien conseiller municipal « Motivé-e-s »
à Toulouse

« Un air
du temps libérateur »

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« J’avais 17 ans le 10 mai 1981. Le jour de l’élection a représenté un espoir formidable, et les débuts de son premier mandat de Président ont été un souffle important.
On a eu le sentiment que beaucoup de choses allaient être possibles. Quelque chose qui m’avait marqué, étant donné mon parcours militant, c’est le droit des étrangers à s’organiser en association et la carte de séjour de 10 ans.
C’était le moment des marches de l’égalité contre le racisme. Il y avait un air du temps libérateur et de progrès dans les années 1980, et le lien avec l’arrivée de la gauche au pouvoir est évident.
Ensuite, immanquablement, cela m’évoque plutôt des déceptions. Par exemple, la promesse non tenue du droit de vote des étrangers. Le retour dans le rang d’une politique prétendument raisonnable à partir de 1983.
Et le coup de frein sur l’espoir que l’on avait dans les quartiers que la gauche puisse faire de la place à une expression politique des gens issus de l’immigration. La mort de Bob Marley le 11 mai 1981 m’a rendu plus triste que l’élection de François Mitterrand ne m’a rendu heureux ! »

Éric Beynel,

syndicaliste à Solidaires

« La joie
de mes parents »

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« J’avais 16 ans, donc je l’ai plutôt vécu à travers ma famille, qui a ressenti ce moment comme une libération. Ensuite, j’ai grandi pendant les années Mitterrand, et ç’a été très contradictoire. D’abord le bonheur de voir l’abolition de la peine de mort, puis le tournant de la rigueur et l’abandon des idées qui avaient fait la joie de mes parents. C’était un personnage ambivalent, mais il était imposant au niveau des idées, de son parcours et de ce qu’il a apporté. On voit tellement de gens de gauche qui dérivent à droite, lui a fait le chemin inverse, même s’il n’a pas été aussi à gauche que je l’aurais souhaité. »

Publié dans le dossier
En finir avec Mitterrand
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