« Justice est faite »

Après qu’Oussama Ben Laden a été abattu au Pakistan par un commando américain, Barack Obama a déclaré : « Justice est faite. » (Puis la chefferie de l’État français, qui s’y connaît en équité, a déclaré : « Justice est faite. » )
Entendant cela, on se dit, pour commencer, que c’est, pour les indigénats de l’Afghanistan et de l’Irak, une excellente nouvelle, puisque, dès lors que « justice est faite » , l’occupation de leurs territoires et les hachis afférents de leurs indigénats, n’ayant (à l’aune des arguments qui furent produits pour les justifier) plus aucune raison de perdurer, devraient sous quelques jours prendre enfin fin. (Si tel n’était pas le cas, nous serions naturellement fondé(e)s à considérer, non sans surprise & tristesse, qu’ Uncle Sam se fout de nos gueules.)

Puis, tout de suite après, on fait d’ardentes prières pour que, surtout, personne dans le monde ne se convertisse au sinistre point de vue d’Obama et de Sarkozy selon lequel la loi du talion serait synonyme de justice – et que la justice consisterait donc à tuer sans jugement les assassins, non sans avoir préalablement buté aussi quelques dizaines de milliers de victimes collatérales.

Car, en effet, si un tel avis devait partout prévaloir comme à l’Élysée ou à la Maison Blanche, et présider désormais au rendu planétaire de la justice, les Américain(e)s auraient beaucoup de souci à se faire.
Car, en effet, pour ce qui serait du terrorisme de grosse échelle –  « responsable du meurtre de milliers d’innocents » , comme l’a fort bien rappelé Barack Obama –, force est de constater que Ben Laden, nonobstant l’application qu’il mit dans ses massacres (n’oublions jamais que le gars avait été formé à la rude mais performante école yankee de la war against f****** communism ), restait un assez petit joueur par rapport aux serial killers [de Vietnamien(ne)s, de Guatémaltèques, d’Irakien(ne)s [^2] ] de Washington.

Imaginons trois secondes qu’un commando sandiniste aille buter Oliver North chez Fox News, après avoir bombardé d’abondance le Minnesota et le Wisconsin, puis se félicite en majesté de ce que justice ait ainsi été enfin rendue aux milliers de victimes du terrorisme états-unien – et que de larges bouts du peuple du Nicaragua festoient en direct live dans les rues de Managua. Quelque chose me dit que ça passerait moyen bien dans les éditocraties d’Occident.

On ne voit en vérité pas du tout où serait la «  justice  » dans l’assassinat ciblé d’une crapule, si odieuse qu’elle soit, mais il est bien certain qu’à partir du moment où « nous » théorisons ouvertement que le principe d’un œil pour un œil fait une acceptable jurisprudence, faudra pas non plus que « nous » nous étonnions de prendre demain de méchants coups dans les dents.

[^2]: Liste non exhaustive.