La pénurie d’eau, question très chaude
La probabilité d’une sécheresse se dessine en France, et des mesures d’urgence sont déjà prises. C’est l’occasion de repenser notre modèle agricole productiviste, dont les besoins en eau sont considérables.
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Le risque de sécheresse affecte désormais 28 départements. Plusieurs mesures d’urgence ont été prises par les ministères de l’Agriculture et de l’Écologie, visant à réduire les fuites sur les réseaux d’eau potable et instaurant une gestion collective des autorisations de prélèvement pour l’irrigation. Car l’été s’annonce mal. Début avril, 58 % des nappes phréatiques enregistraient déjà un niveau inférieur à la normale.
Si le déficit de pluies depuis le début de l’hiver puis un printemps excessivement sec en constituent la cause directe, la pénurie d’eau résulte aussi d’une surconsommation. Premier pays agricole de l’Union européenne et premier exportateur mondial de produits agroalimentaires, la France a privilégié un mode d’agriculture et d’élevage intensif. Et un recours démesuré à ses ressources en eau. L’irrigation massive a été encouragée dès le milieu des années 1980 pour améliorer la productivité, via des primes à l’irrigation. Elle a permis l’exploitation de cultures peu adaptées aux contraintes climatiques actuelles, comme le maïs, qui couvre 50 % des surfaces irriguées, notamment dans le Sud-Ouest et en Poitou-Charentes, où les pénuries d’eau se multiplient. Utilisé pour nourrir le bétail de manière intensive, le maïs ensilage ne représente pourtant pas une alimentation adaptée aux ruminants, constitués pour être nourris au foin et à l’herbe.
« N’associons pas systématiquement sécheresse et agriculture » , a déclaré Nathalie Kosciusko-Morizet, lors du Comité sécheresse réuni lundi 16 mai. Le caractère très consommateur en eau de notre modèle agricole doit pourtant s’analyser au regard de la surconsommation de viande dans les pays riches : il faut entre 20 000 et 100 000 litres d’eau pour produire un kg de bœuf, selon la FAO. Découlant de cette orientation productiviste, la taille des exploitations agricoles favorise des techniques d’irrigation gaspilleuses. L’acquisition de canons d’arrosage et d’asperseurs est coûteuse. Pour pouvoir arroser l’intégralité de leurs champs, les grands exploitants agricoles n’ont donc pas d’autre choix que d’irriguer tout au long de la journée, faute de matériel suffisant, explique Richard Marietta, président de Nature et progrès. Or, 90 % de l’eau lancée aux heures chaudes par ces engins s’évapore immédiatement et seuls 10 % pénètrent dans le sol.
Que faire pour réduire la demande en eau de l’agriculture ? « Tout doit être mis en œuvre pour limiter et faire cesser au plus vite, dans nos régions, les arrosages de plantes polluantes, énergivores et non directement alimentaires, indique Richard Marietta. La limitation de la ressource en eau en période d’irrigation doit nous imposer de la réserver aux besoins indispensables à la consommation locale et nécessaires à l’agriculture vivrière de nos régions. » En abandonnant par exemple les politiques de développement des agrocarburants, comme le suggère Philippe Collin, de la Confédération paysanne. Des pâturages seraient ainsi libérés pour un retour à l’alimentation traditionnelle des bêtes, dans la perspective d’une réduction de la consommation de viande (par ailleurs responsable de 18 % des gaz à effet de serre [GES] selon la FAO). Depuis 1973, les surfaces en oléagineux (colza, tournesol) consacrées à la production d’agrocarburants ont été multipliées par 5,7 pour atteindre 2 millions d’hectares en 2008. Et la France s’est fixé l’objectif d’atteindre 10 % de consommation d’agrocarburants à l’horizon 2015.
Il s’agirait aussi de préférer les cultures adaptées aux climats de nos régions et aux évolutions liées au changement climatique. Ce qui impliquerait de rompre avec la centralité de certaines monocultures comme le maïs, pour réintroduire la rotation des cultures. Par exemple, le sorgho, moins productif, résiste mieux à la chaleur et pourrait avoir un meilleur rendement par des techniques d’amélioration génétique classiques. « En cultivant du maïs une année sur deux ou deux années sur trois, on pourrait diminuer les consommations en eau estivale d’un tiers ou de moitié » , souligne Nadine Brisson, agronome à l’Institut national de la recherche agronomique. Enfin, il importe de rétablir le pouvoir d’absorption des sols en misant sur une agriculture biologique et moins intensive. Car c’est le tassement des terres par des machines de plus en plus lourdes, la profondeur des labours, la diminution des apports de matière organique – remplacés par des engrais chimiques – et la monoculture qui fatiguent les sols, les rendent secs et trop denses pour bien absorber l’eau. « Ruissellement, érosion, désertification sont le lot de plus en plus commun des terres cultivées de façon industrielle » , explique Gérard Augé, pédologue de Nature et progrès.
Or, « les méthodes qui développent un haut pouvoir d’absorption aux terres cultivées sont des pratiques de base communes en agriculture biologique » . À savoir : le maintien d’une faune et d’une flore diversifiées, l’apport de matières organiques, la rotation des cultures, le rétablissement de haies et de bandes enherbées et des labours plus doux. Mais la gestion d’un bien public comme l’eau relève avant tout d’une concertation démocratique sur les usages de l’eau dans tous les domaines. « Sortons de l’idée qu’il y a une solution technique à ces problèmes ; ce qu’il faut, c’est une solution politique globale » , rappelle Philippe Collin.