La racaille, à nettoyer au Kärcher
dans l’hebdo N° 1152 Acheter ce numéro
La « racaille » constitue la cible fondatrice du sakozysme. La catégorie paraît floue. Mais à l’évocation du mot « racaille », qui se confond désormais avec la figure du « jeune de banlieue », chacun comprend parfaitement de qui l’on parle. Ils étaient autrefois qualifiés de « sauvageons » par Jean-Pierre Chevènement, autre candidat à la présidentielle et ancien ministre de l’Intérieur. Ce sont les jeunes avec casquette ou capuche, parlant verlan, pour reprendre le cliché lancé par Nadine Morano, le plus souvent « bronzés », volontiers violents, misogynes (voire amateurs de « tournantes »), ne respectant aucune autorité, surtout pas à l’école, qu’ils quittent très tôt, squattant les halls des immeubles de leur cité en fumant du shit, insultant les voisins et « caillassant » régulièrement la police venue les « contrôler » pour la huitième fois de la journée. C’est là, à grands traits, les représentations qui viennent immédiatement à l’esprit de nombre de Français. Des Français qui n’ont généralement aperçu ces jeunes des quartiers populaires qu’à la télévision ou au détour d’un couloir de métro. Mais ces représentations bien ancrées dans l’imaginaire collectif sont aussi savamment exploitées dans le discours politique et dans les médias depuis des années. Avec une inflation exponentielle des occurrences dans le discours sarkozyste.
On le sait, Nicolas Sarkozy a d’abord remporté l’élection présidentielle sur des thèmes sécuritaires. Le « jeune de banlieue » avait, dans ce dispositif, une place centrale. En particulier lorsqu’il était ministre de l’Intérieur (et déjà en campagne), « Sarko » s’est assuré une image d’homme à poigne en visant directement cette cible finalement assez facile, puisque sans organisation collective, mais objet de bon nombre de fantasmes. Il fit ainsi voter dès 2003 la fameuse loi interdisant les « rassemblements » dans les cages d’escalier. Surtout, personne n’a oublié le fameux : « Vous en avez marre de cette racaille ? Eh bien, on va vous en débarrasser » , ni les cités que le futur président se proposait de « nettoyer au Kärcher » . Son action place Beauvau, soigneusement mise en images, comme premier flic de France en première ligne face aux émeutiers de novembre 2005 ou de Villiers-le-Bel, fut sans doute pour beaucoup dans son élection en 2007. Nicolas Sarkozy, une fois élu, et ses ministres de l’Intérieur successifs n’ont jamais délaissé cette cible, entre « peines planchers » et poursuites des « mineurs délinquants » , évidemment synonymes de « jeunes de banlieue » dans beaucoup d’esprits. Présents sans interruption dans le discours ultra-sécuritaire de Grenoble de l’été dernier, ces gamins des quartiers populaires étaient là encore dans la ligne de mire. « Mettre fin à l’impunité des mineurs délinquants » (à nouveau), « ne pas laisser les caïds s’installer dans les quartiers » et, bien sûr, commencer par « suspendre » les allocations familiales aux familles d’enfants délinquants ou n’allant pas à l’école. Toutes ces mesures – et tous les mots utilisés – ne visent essentiellement que ces terribles « jeunes de banlieue ». Près de 4 millions de boucs émissaires potentiels : le nombre de jeunes de 15 à 19 ans qui habitent en banlieue.